A quoi doivent s’attendre les musulmans sous Macron ?
19 avril 2022
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Il n’est donc aucunement surprenant que les musulmans français fuient de plus en plus leur pays, produisant une véritable fuite des cerveaux, silencieuse mais bien réelle, qui ne peut que faire du mal à la France et à son soft power. Ces pertes sont regrettables pour toute la nation, qui aurait pu utiliser leurs voix, perspectives, talents et connexions dans de nombreux domaines (politique internationale, affaires, diplomatie, et plus).
Confusion entre islam et radicalisation djihadiste
La Charte des principes de l’islam de France représente, elle, une tentative d’OPA hostile, flagrante et inacceptable, de la part d’un État supposé laïc vis-à-vis d’une religion en particulier.
Sous Macron, la France a également adopté une approche éradicatrice contre tout groupe, individu, association, mosquée, etc. qu’un gouvernement bigot, ignorant et mal conseillé par une poignée d’idéologues et d’universitaires médiatiques stigmatise en général de façon gratuite comme étant « islamiste » ou « radicalisé ».
Ainsi en octobre 2019, l’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a déclaré devant la commission des Lois que les signes de radicalisation religieuse incluaient le fait de faire la prière de façon rigoureuse et ostensible (en précisant même « surtout pendant le Ramadan » !), le port de la barbe, et la « tabaa » (marque de friction) sur le front des musulmans, confondant des pratiques religieuses normales et courantes en islam avec des « signes de radicalisation » avant-coureurs du djihadisme.
Ce genre d’énormités islamophobes, ignorantes et bigotes vient couramment à la bouche des officiels de l’État français. Car chez eux, l’islamophobie survient si naturellement et spontanément, comme le fait de respirer, qu’ils ne s’en rendent jamais compte.
Cette confusion entre orthopraxie religieuse conservatrice ou rigoriste et extrémisme porteur de terrorisme découle d’une pseudo « théorie du continuum » elle-même fallacieuse, jamais démontrée mais fréquemment démontée et invalidée par quantité de chercheurs, universitaires et scientifiques bien plus substantiels et sérieux que les quelques intellectuels de plateaux télé qui la propagent depuis des années, en général sans aucun contradicteur en face d’eux.
Criminalisation de la critique
Aujourd’hui, grâce aux efforts réussis d’Emmanuel Macron, telle la loi contre le « séparatisme islamiste », l’État dispose désormais de tout un arsenal législatif et répressif flambant neuf qui lui permettra, comme cela est déjà le cas, de censurer, interdire, bannir, fermer, expulser ou persécuter quiconque il choisira de labelliser « islamiste », « fondamentaliste », « radical » ou, désormais, « séparatiste ».
On le voit d’ailleurs déjà à l’œuvre dans les décrets exécutifs interdisant des organisations antiracistes comme le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et la Coordination contre le racisme et l’islamophobie (CRI).
Ces politiques vont jusqu’à criminaliser le simple fait de parler de « racisme d’État » ou d’« islamophobie institutionnelle », en les reformulant comme une « incitation à la haine de la France » et, par là même, au terrorisme contre notre pays ou son gouvernement.
Ce genre d’idées fausses permet à Macron de délégitimer et criminaliser des pans entiers de la religion islamique (comme le salafisme) et de pénétrer comme aucun autre gouvernement de la Ve République ne l’avait fait dans le domaine du contrôle de la pensée et de la religion.
Ce faisant, Macon a démoli la « laïcité à la française » tout en l’invoquant, pour la remplacer par une administration répressive, autoritaire, proprement néocoloniale de l’islam et de ses adeptes.
Dynamique double
Ces développements sont inquiétants non seulement pour les musulmans en France, mais pour l’État de droit en général. Deux tendances complémentaires de l’islamophobie d’État peuvent être observées sous Macron, ciblant à la fois la vie publique et la sphère privée.
D’une part, pour contrer la création d’une société civile musulmane non pas « séparatiste » mais souvent critique vis-à-vis du gouvernement ou simplement autonome vis-à-vis de l’État, le ministre de l’Intérieur s’attaque avec un zèle encore jamais vu aux maisons d’édition islamiques, aux groupes qui luttent contre l’islamophobie, aux écoles musulmanes, aux « islamogauchistes qui gangrènent l’université ».
D’autre part, dans la sphère privée, la surveillance et la répression étatique pénètrent de plus en plus profondément dans la vie personnelle des familles musulmanes, y compris en ce qui concerne leurs choix éducatifs et d’éducation parentale.
Pendant ces cinq années, toutes les logiques, processus et instruments de ce qu’il conviendrait de nommer la « nouvelle islamophobie française » comme Pierre-André Taguieff parle de « nouvelle judéophobie » ont été améliorés, peaufinés, intensifiés et étendus : la construction de l’épouvantail « islamiste » ; le contrôle autoritaire des musulmans ; la pathologisation et criminalisation de normes et pratiques islamiques banales y compris la prière ; le management néocolonial des musulmans et de leur religion elle-même ; le déni de l’existence même de l’islamophobie ; la systématisation de la surveillance étatique et de la répression d’institutions islamiques.
Et comme Macron et son entourage nous promettent fièrement de continuer dans la même voie, les musulmans de France savent désormais ce à quoi ils peuvent s’attendre sous Macron II.
Alain Gabon est professeur des universités américaines et maître de conférence en « French Studies » à l’université Wesleyenne de Virginie (Virginia Beach, États-Unis). Spécialiste du XXe siècle, il a écrit de nombreux articles sur, entre autres sujets, l’islam et les musulmans en France et dans le monde, pour des médias grands publics et alternatifs ainsi que des revues universitaires.
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