“Le G7 perd progressivement son rôle dominant sur la scène mondiale. C’est la conclusion non seulement de cet article mais de la quasi totalité de ceux que nous publions aujourd’hui et qui montrent le caractère global de la fin de l’hégémonie occidentale avec les Etats-Unis comme puissance dominante. La guerre en Ukraine doit s’analyser à travers cette évolution autrement on a de grandes chances de n’y rien comprendre. Le processus est irréversible et il montre que de la contrerévolution qui a mis à bas l’URSS et la vague néolibérale qui a paru tout emporter, le monde est en train de sortir avec une aggravation des contradictions capitalistes et une mondialisation, interpénétration dans laquelle des pays émergents, dont la Chine et d’autres impulsent un mouvement inusité qui touche toute la planète. (Note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop)
Le 16 novembre, les pays du G20, après de longues délibérations, se sont mis d’accord sur une déclaration finale du sommet de Bali satisfaisante pour tous les participants. Si la plupart des pays participants ont “fermement condamné” l’action militaire en Ukraine, notant que les combats “causent d’énormes souffrances humaines” et ont un impact négatif sur l’économie mondiale, le document indique qu’il existe d’autres points de vue sur “la situation et les sanctions”. D’une manière générale, le G20 a souligné que la réunion de Bali n’était pas une plate-forme “pour aborder les questions de sécurité”, mais que ces problèmes sont lourds de conséquences.
En outre, le G20 a soutenu la prolongation de l’accord sur les céréales, s’est prononcé contre les restrictions qui entravent les exportations d’engrais et de denrées alimentaires, a demandé une assistance aux pays les plus durement touchés par la crise alimentaire et a souligné la nécessité de soustraire les activités humanitaires aux sanctions.
Le G20 a également déclaré que l’utilisation des armes nucléaires était inacceptable, soulignant que “l’ère actuelle ne devrait pas être une ère de guerre”. Les États ont appelé à la résolution pacifique de tous les conflits.
Enfin, le G20 a exprimé son inquiétude face à la volatilité des prix de l’énergie et aux pénuries du marché, réaffirmant l’engagement de parvenir à la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle et promettant une transition accélérée vers des sources d’énergie alternatives.
On peut noter que tant le sommet que la déclaration finale ne se sont pas transformés en un événement totalement anti-russe, comme le souhaitaient les pays occidentaux. Le secrétaire de presse du président russe, Dmitri Peskov, a déclaré que la déclaration pouvait être considérée comme équilibrée, y compris la partie concernant la question ukrainienne, ce pour quoi les experts et les représentants russes ont fourni de nombreux efforts.
Svetlana Lukash, Sherpa de la délégation russe, a même noté que le document démontrait clairement que la position du G7 n’était plus dominante au sein du G20. Selon elle, les pays occidentaux ont fait preuve d’hypocrisie lors du sommet, mais le G20 est parvenu à équilibrer pleinement le texte dans l’intérêt des économies émergentes également.
Selon elle, la Russie, avec ses partenaires des BRICS et d’autres pays amis, a réussi à “trouver un équilibre sur tous les sujets, qu’il s’agisse de la sécurité alimentaire, du climat ou de la transformation numérique et de l’énergie”.
“Petit à petit, lentement, mais l’équilibre des forces est en train de changer. Peut-être que cela aurait pu être fait un peu plus rapidement, mais au moins cela se produit, et c’est une bonne chose”, a-t-elle déclaré.
Le politologue Youri Svetov estime que le processus de réduction du rôle du G7 dans le monde a réellement commencé, mais que les pays en développement seront en mesure de tenir tête au G7 lorsqu’ils auront atteint l’égalité dans l’économie.
– Le sommet d’Indonésie a montré une tendance qui se développe progressivement sur la scène internationale. Nous avons constaté ce mouvement au cours des derniers mois. Alors que la résolution condamnant la Russie à l’Assemblée générale des Nations unies a été adoptée par 150 États, il y a eu presque égalité de voix sur la récente résolution, qui demande en fait de retirer l’argent de la Russie et de l’utiliser par d’autres pays. 94 pays se sont prononcés en faveur, 14 contre et 73 autres se sont abstenus. Cela représente un total de 181 pays, mais l’ONU en compte plus de 200. Donc certains pays ne se sont tout simplement pas présentés pour voter.
Ensuite, il y a eu la réunion au Cambodge, à laquelle participaient non seulement les pays asiatiques, mais aussi les États-Unis et leurs alliés, où il n’a carrément pas été possible de faire passer une résolution condamnant la Russie. Il y a donc du progrès.
Pourquoi le sommet de Bali est-il si important ? Le G20 regroupe les vingt premières économies du monde selon des mesures objectives. Il est clairement divisé en deux parties. Dix pays sont constitués du G7, plus la Corée du Sud, l’Australie et l’Union européenne en tant qu’union. D’autre part, dix autres pays sont les États BRICS (Russie, Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud) plus cinq autres pays qui ne sont ni là ni ailleurs. Il s’agit du Mexique, de l’Argentine, de l’Indonésie en tant qu’hôte, de la Turquie et de l’Arabie saoudite. La principale pression de l’Occident s’est exercée sur ces pays qui n’ont pas adhéré aux sanctions contre la Russie. Les Dix ont exercé une forte pression sur les Cinq, mais ils n’ont pas pu être écrasés. Ainsi, pour la première fois, la résolution dit qu’il y a ceux qui condamnent la Russie et ceux qui ont un point de vue différent. Il s’agit d’une étape très importante.
Je pense que le vote de l’ONU sur la tentative de faire main-basse sur l’argent de la Russie a joué un rôle énorme dans cette affaire. D’autres pays ont pensé au fait que leur argent se trouve également en Occident et qu’il peut être retiré de la même manière. Les Américains ont montré que lorsqu’on leur donne de l’argent, on devient vulnérable. Vous aidez l’économie américaine avec votre argent, mais votre argent fait de vous un otage. Il peut être confisqué à tout moment. Les politiciens américains et européens ne savent pas comment calculer ces risques car ils sont si arrogants à l’égard du monde qui les entoure qu’ils supposent que tout le monde considère comme une bénédiction de leur donner leur argent.
Le sommet du G20 a été très révélateur à cet égard. Il n’y a pas eu grand-chose de fait, et la résolution adoptée n’aura probablement pas d’impact sérieux. Mais le fait que les Américains n’aient pas réussi à tordre le bras de tous les pays et à les faire voter comme ils le voulaient est très important.
SP : Ces processus vont-ils encore se développer ?
– Bien sûr, prenez par exemple l’expansion des BRICS et le désir de l’Arabie saoudite de les rejoindre. Je constate que le G20 ne comprend pas un pays comme l’Iran qui, malgré toutes les sanctions de ces dernières années, s’est développé économiquement de manière tout à fait efficace. Le Vietnam n’est pas là, et c’est un pays qui a été détruit jusqu’à raz de terre par les Américains. Les Américains ont dit qu’ils le “bombarderaient” pour le ramener à l’âge de pierre, mais le Vietnam s’est relevé et est en train de devenir un État très puissant. De tels États existent également en Afrique. Ils peuvent ne pas aimer la Russie, ils peuvent ne pas aimer notre opération spéciale en Ukraine, mais ils voient que la Russie se bat contre ceux qui tordent les bras et dictent leurs conditions au reste du monde. Et ils apprennent cela de la Russie, même s’ils ne sympathisent pas avec nous, mais ils nous soutiennent à cet égard.
Ce n’est pas une coïncidence si, lors de la réunion de coopération en Asie de l’Est au Cambodge, Joe Biden a été symboliquement conduit à sa résidence le long de l’avenue principale de Phnom Penh, appelée avenue de la Russie. C’est un signe de gratitude pour le fait que la Russie a soutenu le Cambodge pendant toutes ces années, y compris lorsque les États-Unis les ont arrosés avec leur agent “Orange” et sont intervenus dans les hostilités.
SP : – Quand le reste des pays du G20 sera-t-il en mesure de faire pleinement contrepoids au G7 ?
– Le contrepoids se produira lorsque ces pays deviendront économiquement égaux au G7. La Chine a pour objectif de devenir la première économie du monde en 2030. Mais nous ne pouvons pas nous concentrer uniquement sur la Chine ; à l’heure actuelle, le leader du développement économique mondial est l’Inde et, soit dit en passant, elle a grandement besoin d’un approvisionnement stable en vecteurs énergétiques et la Russie l’aide à cet égard.
L’égalité et ensuite l’influence des BRICS viendront lorsque nous serons plus forts économiquement. Maintenant, les Américains imposent un plafond de prix sur notre pétrole à partir du 5 décembre. Sur quoi comptent-ils ? Sur le fait qu’ils ont l’assurance du transport, la logistique, beaucoup d’autres choses dans leurs mains. Lorsque les BRICS auront progressivement créé leurs propres compagnies d’assurance, leurs chaînes logistiques, l’Occident n’aura plus aucun moyen de pression sur nous.
Vladimir Poutine dit maintenant : “Imposez des limites de prix – vous vous retrouverez sans pétrole, si vous ne voulez pas payer en roubles – je vous en prie, restez sans gaz russe. Mais nous avons aussi des problèmes parce que nous ne fournirons pas de gaz et de pétrole à ces pays et que nous ne gagnerons pas d’argent avec cela. Cela signifie que nous devons créer des structures qui nous permettront d’ignorer leurs sanctions – de nous assurer, d’affréter des pétroliers à d’autres compagnies.
Ces choses se font progressivement. Par exemple, Rosneft construit ses propres pétroliers depuis 2017. Maintenant, quand ils veulent bloquer le transport maritime vers d’autres pays, nous avons déjà nos propres pétroliers. Oui, ils ne sont pas nombreux, mais il y en aura d’autres. Dans l’ensemble, tous ces processus sont désormais déterminés par ce qui se passe en Ukraine. Lorsque nos forces armées seront victorieuses, le jeu sera différent.