Kanaky/Nouvelle-Calédonie : la lourde responsabilité du gouvernement français
22 mai 2024
15/05/2024
Les passages en force du gouvernement français en violation de l’esprit des accords passés en 1988 et 1998 sont à l’origine de la situation insurrectionnelle en cours.
Le 14 mai 2024, l’Assemblée nationale a adopté après le Sénat le projet de loi constitutionnelle permettant de faire voter le dégel du corps électoral calédonien, alors que sa composition avait permis de ramener la paix civile dans l’archipel1. Un projet qui, comme nous l’avons souligné dans notre dernière édition, marque une dangereuse rupture avec l’histoire du territoire durant ces trente dernières années, et qui vise à verrouiller l’appartenance de la Kanaky/Nouvelle-Calédonie à la France. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a condamné « le vote du projet de loi constitutionnel » et « souhaité [son] retrait […] afin de préserver les conditions d’obtention d’un accord politique global entres les responsables calédoniens et l’Etat français ».2
Alors même que l’Assemblée adoptait à Paris le projet de loi modifiant la composition du corps électoral en Kanaky/Nouvelle-Calédonie, se produisait sur place pour la deuxième nuit consécutive, notamment à Nouméa sous couvre-feu, l’embrasement contre lequel, à de nombreuses reprises, le gouvernement français avait été mis en garde. Comme l’écrit Mediapart : « Emmanuel Macron et sa majorité ont remis le feu à la Nouvelle-Calédonie ». A l’heure où nous écrivons, des milices privées loyalistes font usage de leurs armes et tuent, on déplore au moins quatre morts et l’État d’urgence est déclaré.
L’Elysée déclare maintenant vouloir rouvrir le dialogue et se dit prêt à ne pas convoquer immédiatement le congrès pour modifier la Constitution en révisant la composition du corps électoral.
La ligne de conduite du gouvernement depuis trois ans est d’en finir avec le processus de décolonisation engagé par l’accord de Nouméa par une minorisation définitive du peuple Kanak. La loi qu’il prévoit sur le dégel du corps électoral revient à une relance de la colonisation.
Après 30 années de paix civile
La recherche d’une « communauté de destin » entre indépendantistes et anti-indépendantistes a été une des bases des accords de Matignon. Elle a permis un fonctionnement des différentes instances sur le territoire. Au regard de la violence coloniale qui s’est abattue sur les Kanaks durant les années 1980, ce dialogue a été un fait historique exceptionnel. La chercheuse Caroline Graille le note : « Les différentes groupes envisagent désormais le ”vivre ensemble” ». Un paradoxe que les Calédoniens de toutes origines sont en train de s’approprier : il existe un héritage historique douloureux, conflictuel et meurtrier, bâti sur des rapports de domination coloniale, puis sur un processus complexe d’émancipation politique où des groupes ethniques déjà ségrégués par l’histoire coloniale se sont violemment opposés ; cet héritage de clivages sociaux et de différenciations ethnoculturelles coexiste depuis 1988 avec une espérance de “décolonisation réussie”, un “pari sur l’intelligence” proposés par les leaders politiques locaux et nationaux »3
Les accords de Matignon, signés en 1988 prévoyaient un référendum lors de l’année 1998. L’accord de Nouméa, signé en 1998, reportait la tenue entre 2014 et 2018 de cet accord inscrit dans les articles 76 et 77 de la Constitution française4. La question posée était ainsi formulée « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Conformément à l’accord, trois scrutins étaient prévus. Les deux premiers montrèrent l’effritement du camp des anti indépendantistes, le « Non » passant de 57% à 53% 5. Aussi, refusant de respecter la période de deuil des Kanaks faisant suite aux ravages du covid dans le territoire, le pouvoir décida de maintenir le troisième référendum. Ce dernier ayant été massivement boycotté, et le « Non » fut évidemment majoritaire.6
Afin d’encourager les installations de métropolitains en Kanaky/Nouvelle Calédonie, des conditions d’installation extrêmement avantageuses ont été mises en place. Le traitement indiciaire, augmenté de l’indemnité de résidence et du supplément familial applicable à Paris, a été affecté d’un coefficient de majoration de 1,73 à 1,94 en Nouvelle-Calédonie7.
Ces dispositions modifient les rapports de force en défaveur du peuple colonisé et ne permettent pas de construire un avenir avec ceux et celles nés sur le territoire.
Une rupture
Le pouvoir cherche à rendre irréversible la colonisation. La nomination de la cheffe « loyaliste », Sonia Backes, comme secrétaire d’Etat (qui s’entoure dès sa prise de fonction d’un soutien d’Eric Zemour)8 marque que l’État a choisi d’être explicitement partisan. Le ministre de l’Intérieur a engagé le rapport de force, multipliant les visites sur place pour imposer son calendrier et la fin du gel du corps électoral et par la modification de la constitution.
Face à cette irresponsabilité du pouvoir, trois anciens ministres ont invité à dessaisir Gérald Darmanin du dossier pour le confier au Premier ministre, et proposé d’accepter la proposition d’une « mission de dialogue » avancée par les indépendantistes.
Sur place, les autorités ne font rien pour calmer la situation. Le philosophe Hamid Mokaddem, en poste à l’Institut de la Formation des Maîtres de la Nouvelle-Calédonie rapporte : « Lefranc haussaire – surnom du Haut-Commissaire de la République – ne sécurise pas les populations ni n’assure l’ordre, mais fait des déclarations de guerre en pointant du doigt une jeunesse délinquante “caillassant et tirant à coup de fusil contre les forces de l’”. Ensuite, il accuse les autorités coutumières de la tribu proche de Nouméa, Saint-Louis. Le 14 mai il s’en prend maintenant aux autorités politiques indépendantistes. M. Darmanin refuse de comprendre que la Nouvelle-Calédonie n’est pas un quelconque territoire des outre-mer de la République et administre la Nouvelle-Calédonie comme si celle-ci était une portion indivisible de la souveraineté nationale. »
Mobilisations exceptionnelles
Cette politique a pour conséquence une montée des tensions en Nouvelle-Calédonie, des mobilisations multiples et puissantes dans tout le pays, des grèves et blocages, des arrestations de manifestants, et la menace d’un embrasement du pays.
Les indépendantistes dénoncent le retour de la « colonie de peuplement », Jean-Fidel Malalua, vice-président du syndicat indépendantiste USTKE, durcit le ton : « Avant, on disait destin commun et vivre ensemble. Maintenant, il faut inclure ça dans “Ici, c’est chez nous ! Ici, c’est Kanaky !” »9
Après avoir mené le territoire dans une impasse, Emmanuel Macron a décidé de reprendre le dossier des mains de son ministre de l’Interieur10. Il a fait savoir que si la loi est adoptée, elle ne serait pas soumise immédiatement au Congrès et dit ainsi vouloir accorder quelques semaines pour renouer le dialogue avec les diverses composantes.
Le Congrès de Nouvelle-Calédonie vient d’adopter une résolution demandant le retrait du projet de loi. Maintenir la loi de révision constitutionnelle, ce n’est pas favoriser le dialogue, c’est l’empêcher, ce n’est pas faire baisser les tensions, c’est les aggraver.
Collectif Solidarité Kanaky
Kanaky/Nouvelle-Calédonie :
NON au dégel du corps électoral ! NON à la recolonisation !
Appel du Collectif Solidarité Kanaky
Paris le 13 mai 2024,
Ce lundi 13 mai, veille du vote à l’assemblée nationale, les manifestations des indépendantistes contre le dégel du corps électorat se sont multipliées
– routes bloquées ou barrages filtrants, grève très suivie au port et aéroport de Nouméa, fermeture de nombreuses administrations, feux allumés à différentes endroits, début de mutinerie dans la prison de Nouméa, heurts entre jeunes kanak et forces de l’ordre dans les quartiers populaires, nombreux blessés et arrestations en masse.
C’est dans ce contexte insurrectionnel qu’aura lieu le vote à l’assemblée national ce 14 mai portant sur le dégel du corps électoral.
Pour tenter d’arrêter ce processus dangereux pour l’avenir du peuple kanak, les élus du congrès de Nouvelle Calédonie se sont réunis ce lundi 13 mai et sont parvenu à adopter, à la majorité, une résolution demandant le retrait de ce projet de loi sur le corps électoral.
Les élus rappellent à l’Etat qu’ils sont majoritairement conte ce projet de loi.
30 ans après l’Accord de Nouméa, ainsi que du transfert des compétences et leur rééquilibrage, les inégalités restent très importantes, le non respect de la priorité à l’emploi local : dans beaucoup de secteurs, ce sont les métropolitains récemment arrivés en Nouvelle Calédonie, du fait de conditions attractives (niveau de salaire et indexation, avantages en terme de logement ou de soutien à l’installation), qui occupent des postes au détriment des travailleurs Kanak à compétences égales. Ainsi se perpétue une longue tradition de privilèges offerts aux Français partant travailler en Outre-mer.
Des conditions qui permettent de renforcer la colonie de peuplement qu’a toujours représenté pour l’État français ce territoire du Pacifique. Cela en violation totale du droit international. En effet, la Kanaky/Nouvelle-Calédonie reste un territoire non autonome au regard du droit international, à ce titre inscrit sur la liste des pays à décoloniser selon la résolution 15-14 des Nations Unies.
L’Accord de Nouméa est un accord de décolonisation. Il prévoyait 3 consultations référendaires d’autodétermination. Le deuxième référendum avait montré, en 2020, une poussée des voix indépendantistes : à seulement 9000 voix près, le « Oui » à la pleine souveraineté de la Nouvelle Calédonie était majoritaire. Les conditions du troisième et dernier référendum, fin 2021, sont aujourd’hui toujours contestées par l’ensemble des courants indépendantistes, lesquels avaient demandé suite à l’épidémie du Covid et au confinement qui empêchait toute campagne, le report de la consultation et le respect tant de la promesse d’Edouard Philippe de le tenir en 2022 que de la
période de deuil kanak. Ce 3ème référendum n’est pas reconnu par les indépendantistes qui n’ont pas participé au vote. Une plainte est prévue à ce sujet auprès de la Cour Internationale de Justice.
Aujourd’hui, le gouvernement français a décidé de passer en force. Il présente unilatéralement deux projets de lois sur l’avenir institutionnel de la Kanaky/Nouvelle- Calédonie qui mettent en jeu l’avenir du peuple Kanak, et la stabilité du pays. Ils visent une sortie dans des conditions très contestées et non consensuelles de l’Accord de Nouméa, avec pour conséquence une aggravation considérable des clivages.
Le premier projet de loi concernant le report des élections provinciales a été adopté en mars dernier, le second vise à modifier la constitution est central dans l’Accord de Nouméa, aucune modification ne devrait être faite par une décision unilatérale de l’État, sans un accord global entre les forces politiques locales.
Ces projets de lois renouent avec les pratiques éprouvées de mise en minorité du peuple Kanak dans son propre pays, au profit d’une droite locale qui voudrait par une modification des sièges au Congrès de Nouvelle-Calédonie y trouver une majorité en sa faveur. L’État s’engage dans une modification brutale de toute l’organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie. C’est une façon de favoriser la recolonisation du territoire et l’invisibilisation du peuple Kanak.
En réponse, en Kanaky/Nouvelle-Calédonie les mobilisations s’amplifient contre ces deux projets de lois. Plus de 80 000 personnes dans la rue le 13 avril dernier sur tout le territoire. Des mobilisations historiques qui sont impulsées par la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), qui regroupe l’ensemble des courants indépendantistes. Les objectifs sont clairs : la demande du retrait du projet de loi sur le dégel du corps électoral, la non reconnaissance du 3ème référendum, et la poursuite de la trajectoire de décolonisation.
Ce passage en force de l’État français rappelle de tristes souvenirs et favorise une dynamique de tensions extrêmement dangereuse. La mobilisation du 1er mai a été massive et cette année marquée politiquement par ce contexte politique. Aujourd’hui la moindre étincelle peut embraser la pays.
La semaine du 4 mai 2024 jusqu’au 13 mai 2024, a été une semaine de mobilisations et d’actions continues de la CCAT. Débutée le 4 mai 2024 – pour l’anniversaire de la mort de Jean-Marie Tjibaou le 4 mai 1989, et l’anniversaire du massacre des 19 de la grotte d’Ouvéa le 5 mai 1988 – jusqu’à la présentation du texte à l’Assemblée Nationale ce 13 mai 2024. Des rassemblements devant toutes les gendarmeries du pays le 5 mai 2024, des marches dans différentes villes tous les jours. De nombreuses mines sont déjà bloquées comme à Houailou, à Thio. La mobilisation entre dans sa troisième phase.
Ce 13 mai 2024 les deux fédérations USTKE, T.H.T (Transports aériens et terrestres, Hôtellerie) et Ports & Docks entrent en grève, suivie à 99 %.
Au port, sortie uniquement de marchandises de 1ère nécessité (denrées périssables et médicaments), toutes les sociétés du port ont décidé de fermer à 15H. Ralentissement de l’économie aujourd’hui. La chefferie de Wetr à Lifou a décidé la fermeture de l’aéroport de l’île.
A l’aéroport à Tontouta, les vols des avions ont pris énormément de retard du fait que les salariés ont quitté leurs postes donc perturbant le fonctionnement des services sur l’aéroport. Les mobilisations de la CCAT sur les accès routiers ont perturbé aussi le Pays. Le Pays, se mobilise partout, avec des barrages filtrants.
Un début de mutinerie à commencé à la prison du camps Est, trois gardiens ont été pris en otage, intervention du RAID. Des jeunes ont affronté la police, les gendarmes mobiles, car ceux la même ont tiré aux flash-ball sur les jeunes provocant leur colère. Le pays vit une tension extrême dans l’attente du vote à l’assemblée nationale.
Par ailleurs, la répression est forte. Plusieurs personnes poursuivies depuis la manifestation du 21 février dernier sont passées en procès le 19 avril au Tribunal de Nouméa, subissant de très lourdes condamnations, deux manifestants sont enfermés au camps Est, cinq autres manifestants sont libres mais avec bracelets électroniques. Depuis, il y a eu de nombreuses arrestations, certaines personnes ont été libérées mais avec des poursuites, d’autres sont en détention provisoire, ou gardés à vue.
Ce sont des prisonniers politiques !
Lundi 13 mai 2024, 18 personnes devaient passer en comparution immédiate le procès a été reporté, pour certains au simple motif de port du drapeau de Kanaky ! Du jamais vu … !
Le collectif Solidarité Kanaky, créé en 2007, regroupe différentes organisations associatives, syndicales et politiques avec l’objectif d’organiser en France la solidarité avec le peuple Kanak dans sa trajectoire de décolonisation. Aux côtés des différents courants indépendantistes, nous réaffirmons notre solidarité aux luttes syndicales et politiques des indépendantistes Kanak indépendantistes et non kanak, contre la situation coloniale, raciste, capitaliste et répressive de l’État français en Kanaky.
Nous en appelons aux parlementaires qui à l’Assemblée nationale vont avoir la responsabilité de se prononcer sur la loi portant dégel du corps électoral de Nouvelle-Calédonie.
La Kanaky/Nouvelle Calédonie n’est pas un territoire français, mais au regard du droit international un « territoire non autonome ». Le projet de loi constitutionnelle proposé unilatéralement en vue du dégel du corps électoral , en violation du droit international, conduit les parlementaires à assumer la responsabilité de décider, à plus de 22000 kms de lui, de l’avenir de tout un peuple. Voire d’un possible embrasement en Kanaky/Nouvelle-Calédonie.
Ce projet de loi doit être retiré.
Exigeons la libération et l’abandon des poursuites pour les inculpés des mobilisations en cours.
Engageons des actions de solidarité ici en France contre les deux projets de loi et en solidarité au mouvement actuel en Kanaky.
Solidarité avec la CCAT et le peuple Kanak mobilisé !
Nous appelons à la participation
AU RASSEMBLEMENT CE MARDI 14 MAI 2024 de 14H à 18H Place Salvador Allende (plus proche autorisé de l’Assemblée Nationale) CONTRE LE VOTE SUR LE DEGEL DU CORPS ELECTORAL ET POUR LE RETRAIT IMMEDIAT DU PROJET DE LOI.
Le Collectif Solidarité Kanaky :
MJKF (Mouvement des Jeunes Kanak en France), USTKE (Union Syndicale des Travailleurs Kanak et des Exploités (en France), Union syndicale Solidaires, CNT (Confédération Nationale du Travail), STC (Sindicatu di i Travagliadori Corsi), Association Survie, FASTI (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s), FUIQP (Front Uni des Immigrations et des Quartiers populaires), Ni guerre ni État de Guerre, UP (Union Pacifiste), Ensemble !, NPA (Nouveau Parti Anticapitialiste), PCOF (Parti Communiste des Ouvriers de France), PEPS (Pour une Ecologie Populaire et Sociale), PIR (Parti des Indigènes de la République), UCL (Union Communiste Libertaire).