Comme ce fut déjà le cas à l’époque lorsque d’autres figurent majeures du pays avaient brandis le « A-word » à propos d’Israël (on pense à Jimmy Carter), la réaction politique aux propos de Kerry fut instantanée et émotionnelle. « Israël est la seule démocratie du Proche Orient, et établir un lien entre Israël et l’apartheid est insensé et ridicule, » déclarait la Sénatrice de Californie Barbara Boxer. Fin de l’histoire, donc ?
Pas vraiment. Les politiciens pourront se contenter de déclarations plates et sans fondement, mais pour quiconque est poussé par un minimum de curiosité, il n’est pas inutile de s’arrêter quelques instants pour réfléchir au terme et à son application à Israël.
Le terme « apartheid » n’est pas simplement une invective ; il s’agit d’un mot ayant une signification légale spécifique, laquelle est définie par la Convention Internationale sur l’Élimination et la Répression du Crime d’Apartheid, adoptée par l’Assemblée des Nations Unies en 1973 et ratifiée par la plupart des États membres (à l’exception éhontée d’Israël et des États-Unis).
Selon l’Article II de cette convention, le terme s’applique à des actes « commis dans le but d’établir et de maintenir la domination d’un groupe racial sur un autre et de les oppresser systématiquement. » Priver les membres de ce groupe du droit à la vie et à la liberté, les soumettre aux arrestations arbitraires, les exproprier, les priver de leur droit de quitter ou de retourner dans leur pays, entraver leur liberté de mouvement ou de résidence, créer des réserves ou ghettos pour les membres d’un groupe racial différent, empêcher les mariages mixtes – ce sont là tous des exemples du crime d’apartheid tels que spécifiquement mentionnés dans la convention.
A propos de la référence à un groupe racial, certains vont parler de race au sens prétendument biologique du terme ou en terme de couleur de peau. C’est une manière plutôt simpliste (et dépassée) de considérer l’identité raciale. En outre, pour être plus précis,la notion « d’identité raciale » est définie par la Convention internationale sur l’Élimination de Toutes Formes de Discrimination Raciales de 1965 (dont Israël est signataire), et à laquelle se réfère explicitement la convention sur l’apartheid.
A cet effet, la notion de « discrimination raciale » est définie par « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence basée sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine ethnique ou nationale, ayant pour but d’annuler ou de nuire à la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur un pied d’égalité, des droits humains et des libertés fondamentales, dans le domaine politique, social, culturel ou tout autre domaine de la vie publique. »
Quelques réalités basiques sont désormais établies.
L’État Juif (après tout, c’est ainsi qu’il se qualifie lui-même) maintient un système formel et informel de discrimination au logement à la fois en Israël et dans les territoires occupés. Tout le monde sait, évidemment, que les colonies juives en Cisjordanie ne sont pas franchement pleines à craquer de palestiniens.
En outre, en Israël même, des centaines de communautés ont été construites pour des résidents juifs sur des terres dont des Palestiniens ont été expropriés, et sur lesquelles la ségrégation est maintenue, par exemple, via des comités d’admission autorisés à utiliser le critère ethnique – critère banni depuis longtemps aux USA – ou via l’impossibilité pour des citoyens palestiniens d’accéder aux terres détenues au profit exclusif du peuple Juif par le Fonds National Juif (et ce avec la bénédiction des pouvoirs publics).
Les résidents juifs en territoire occupé profitent de nombreux droits et privilèges dont leurs voisins palestiniens sont privés.
Roger Waters, fondateur des Pink Floyd
Tandis que les premiers bénéficient des protections du code civil israélien, les derniers sont soumis à la dureté de la loi militaire. Ainsi, pendant que leurs voisins juifs vont et viennent librement, les palestiniens de Cisjordanie subissent les arrestations arbitraires et les détentions, la privation de leur liberté de mouvement ; on leur refuse fréquemment l’accès aux centres d’éducations ou centres médicaux, aux sites religieux chrétiens ou musulmans, etc.
Dans le même temps, les citoyens palestiniens d’Israël doivent faire face à près de 50 lois et projets de loi qui, selon l’organisation des droits de l’homme israélo-palestinienne Adalah, soit privilégient les Juifs soit discriminent directement la minorité palestinienne.
Une des composantes clé du code israélien de la nationalité, la Loi du Retour, par exemple, ne s’applique qu’aux Juifs, et exclut les Palestiniens y compris les Palestiniens nés dans ce qui est aujourd’hui l’État d’Israël. Alors que les citoyens juifs peuvent aller et venir sans entrave, la loi israélienne interdit expressément aux citoyens palestiniens de faire venir en Israël leur conjointe vivant dans les territoires occupés.
Les systèmes éducatifs pour les deux populations en Israël (sans parler des territoires occupés) sont maintenus séparés et inégaux. Là où les écoles palestiniennes en Israël sont surpeuplées, les étudiants juifs bénéficient de plus de ressources et d’options dans leurs parcours scolaires.
Il n’est pas possible légalement en Israël pour un citoyen juif d’épouser une citoyenne non-juive. Par ailleurs, une multitude de lois, règlements et décrets militaires dictant quelles personnes peuvent vivre dans quels espaces particuliers rendent les mariages mixtes au sein des territoires occupés simplement impossibles.
Photo: ISM
Et ainsi vont les choses dans chaque domaine de la vie, de la naissance à la mort : une politique rigoureuse et systématique de séparation de deux populations et un mépris total du principe d’égalité.
Un groupe – dépossédés de ses biens et de ses droits – expulsé, humilié, réprimé, démoli, emprisonné et parfois conduit jusqu’aux limites de la famine (reposant sur un calcul calorique méticuleux) dépérit.
Un autre groupe – dont la liberté de mouvement et de développement n’est non seulement pas entravée mais activement encouragée – prospère, et voit ses symboles culturels et religieux orner les atours de l’État et former le blason du drapeau national.
La question n’est pas de savoir si le terme « apartheid » s’applique ou non à Israël. Mais plutôt de savoir pourquoi utiliser ce terme suscite un tel tollé.
Saree Makdisi Professeur d’anglais et de littérature comparée à l’UCLA (Unversity of California Los Angeles), est l’auteur de « Palestine Inside Out : An Everyday Occupation. »
http://www.latimes.com/opinion/op-ed/la-oe-makdisi-israel-apartheid-20…
http://www.internationalnews.fr/article-le-terme-apartheid-s-applique-t-il-a-israel-evidemment-los-angeles-times–123808997.html