Abdelaziz Bouteflika, partant pour un 5ème mandat…
Par Abderrahmane Mekkaoui (revue de presse: Perspectives Méditerranée – Maroc – 14/2/19)*
Plusieurs partenaires de l’Algérie cachent mal leurs inquiétudes à propos de la crise politique qui accompagne les présidentielles avec la volonté affichée par Abdelaziz Bouteflika et de la junte au pouvoir de forcer une nouvelle fois le destin.
Néanmoins, cette fois-ci, la réaction de l’élite algérienne s’est révélée des plus virulentes et use de la toile pour exprimer ses sentiments : le 5ème mandat est assimilé à un viol de la souveraineté et de la charte de Soummam, référence est ainsi faite à la Révolution algérienne, ce qui incite les plus téméraires à en appeler aux armes pour édifier une deuxième république démocratique. De quoi inquiéter les partenaires internationaux de ce pays de poids dans cette partie instable du monde.
Pour la France, en dépit de l’état de santé « décortiqué » de Bouteflika, les anciens Présidents avaient appuyé les 3 et 4è mandats en faisant valoir les arguments de « stabilité et de sécurité » seuls à même de garantir les intérêts économiques et géostratégiques de Paris. Voilà pourquoi l’Algérie a permis le survol de son territoire par les escadrilles tricolores tant de Serval que de Barkhane. Et mis sa main à la poche pour sauver la société Alsthom, via une contribution personnelle du Président Bouteflika. La France a aussi bénéficié de contrats mirifique tels l’aéroport d’Alger (10 millions de passagers), le plus grand en Afrique du Nord, la gestion déléguée de l’eau (Suez) et la construction de l’autoroute Alger-Abuja. Dans ce sillage, l’actuel hôte de l’Elysée n’a appuyé que du bout des lèvres la nouvelle mandature à laquelle aspire A. Bouteflika. A la condition de réunir une conférence nationale, soit une sorte de Constituante capable de désigner un vice-Président avec des pouvoirs élargis et d’amender la Constitution en remodelant l’article qui interdit à l’armée algérienne de s’engager hors de ses frontières. Ce dernier point est aussi souhaité par les Américains pour vaincre les groupes djihadistes qui s’activent dans le Sahel. L’Algérie est un pays qui partage les frontières avec sept pays relevant de l’espace sahélo-saharien qui couvre 9 millions de kilomètres carrés.
Pour Paris comme pour Washington, sans l’implication d’Alger, le terrorisme ne serait nullement éradiqué dans le court terme. Sous cette pression, il est fort utile de rappeler que l’ANP a participé aux manœuvres militaires Fintlock organisées avec les pays de la région sous la supervision de l’Africom.
Pour les Etats Unis, le Président Trump a dénoncé dans un discours officiel le despotisme qui sévit en Afrique en soulignant la légitimité des soulèvements populaires. La dernière visite d’Abdelkader Messahel, chef de la diplomatie algérienne, à Washington et sa rencontre avec les responsables US, sans oublier le recrutement de plusieurs agences de lobbying proches des milieux militaires et pétroliers, va dans le sens du soutien de la mandature de Bouteflika. Il ne faut pas oublier que les intérêts américains en Algérie ont pour caisse de résonance Chakib Khelil, ex-ministre du Pétrole, et Aït Kaddour, PDG de Sonatrach.
Les intérêts américains dans le sud algérien sont énormes, surtout en prévision de la mise en exploitation des gisements de schiste, chantier dans lequel s’impliquent les majors US. A une soixantaine de kilomètres de Tamanrasset, les GI’s exploitent, avec l’appui logistique de l’APN, une base d’écoute pour contrôler les mouvements terroristes qui sévissent dans la région sahélienne en particulier et en Afrique de l’Ouest en général.
Avec tout cela, l’inquiétude persiste au niveau des décideurs français et américains, le 5è mandat pouvant servir de déclencheur d’un soulèvement populaire généralisé qui risque de faire sombrer ce pays dans le chaos.
Ce qui engendrerait des dégâts collatéraux énormes sur les pays voisins comme sur le sud de l’Europe. Face à cette situation, l’état-major de l’ANP dispose de scenarii préétablis pour réactiver le micro-nationalisme soit contre une menace étrangère provenant des djihadistes libyens, soit en menant des opérations militaires contre le Maroc, le Polisario pouvant servir de faire valoir. En cas de guerre, l’article 110 de la Constitution algérienne prévoit le gel de toute activité politique nationale et la proclamation de l’état d’urgence.
A défaut, un coup d’état permettrait aussi de décongestionner la situation instable, traduisant le duel entre le Général Gaid Salah, chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, et le général à la retraite, Ali Ghediri, qui a annoncé qu’il ne baisserait pas les bras devant Bouteflika. Le schisme au sein de l’armée algérienne commence à se faire sentir au niveau des casernes pour toucher et les hommes de troupe et les sous-officiers. « Alilou », diminutif de l’ancien général candidat, est très répandu aussi bien chez l’élite que chez les militaires. Ce duel qui se manifeste au sein de l’ANP pourrait engendrer une implosion de l’Algérie et conduire à un scenario à la vénézuélienne. Voilà qui représente une réelle hantise chez les décideurs occidentaux qui tentent de coordonner leurs actions pour éviter l’effondrement…
Il faut dire que les sources d’inquiétudes nourries par les puissances occidentales touchent aussi bien la Russie que la Chine. Moscou suit de près l’évolution de la situation en Algérie sans faire de tapage médiatique. Pour les Russes, dont le rôle n’est pas à minorer, l’Algérie reste un partenaire stratégique avec lequel ils ont signé un accord de défense et de sécurité qui remonte à l’ère Ben Bella. A l’époque, l’Algérie s’était alignée sur le Pacte de Varsovie et depuis lors s’est toujours tournée vers les arsenaux russes pour renforcer ses capacités de défense. Les contrats conclus avec la Russie portent sur au moins sur 15 milliards de dollars. Plus discrète, la Chine qui commence à grignoter sur les parts de ventes militaires traditionnellement réservées à la Russie, s’avère plus active dans les contrats civils. Le renforcement des infrastructures et l’immobilier a même mobilisé la présence d’une communauté chinoise sur place.
Si l’Algérie a été épargnée par ce qu’il est convenu d’appeler «Printemps arabe », force est de souligner que malgré l’orientation diplomatique plus proche du front arabe du refus, l’Algérie a su sauvegarder des liens avec les Pétromonarchies du Golfe. Les investissements du Qatar, comme ceux des Emirats Arabes Unis portent sur quelque milliards de dollars. Avec Abu Dhabi, la coopération a même ciblé le domaine militaire, avec l’expertise allemande. Mais il faut dire que ces rapports sont loin d’être apaisés à cause de la rivalité entre les composantes du CCG. Les intérêts turcs s’opposent à ceux de l’Arabie en terre algérienne. Les salafistes monopolisent 75% des mosquées algériennes ce qui constitue une menace sérieuse pour la stabilité du pays. L’empreinte du Wahhabisme reste prégnante même si l’implication turque se fait de manière « soft » auprès de Hams, formation politique proche des Frères musulmans dirigée par Mokri. Reste à savoir jusqu’où cette rivalité pourrait peser sur le cours des événements qui s’annoncent déjà troubles et complexes.
Sur le plan continental, Pretoria qui reste un partenaire indéfectible d’Alger, suit de près l’évolution de la situation, contrats économiques et militaires obligent. Et il va de même pour Abuja, autre partenaire africain d’importance. Les projets d’autoroute saharienne et de gazoduc risquent de tomber à l’eau en cas de troubles généralisés.
En conclusion, l’ANP qui est l’ossature de l’Algérie, est sous de très fortes pressions. Réussira-t-elle à rassurer les uns comme les autres quant à sa neutralité alors que le chef d’état-major s’était engagé à assurer la sécurité du scrutin présidentiel et à en garantir les résultats ?
Abderrahmane Mekkaoui, est professeur à l Université Hassan II et expert dans les questions stratégiques.
*Source : Perspectives Méd