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30 avril 2024

Sûreté défaillante à la centrale du Tricastin: jusqu’à quand dureront les magouilles d’EDF?


 

Après une enquête de Mediapart révélant de graves manquements de sûreté à la centrale nucléaire du Tricastin et un ensemble de problèmes sous-déclarés, plusieurs associations antinucléaires portent plainte aujourd’hui contre EDF. Elles dénoncent les «magouilles» d’EDF, qui «continue de faire passer la rentabilité à court terme avant la sûreté» et demandent «l’arrêt des réacteurs du Tricastin».

 

 

Vendredi 19 juillet, suite à un travail d’enquête dont nous saluons la rigueur et le sérieux, Mediapart a rendu publics un certain nombre de faits accablants survenus ces dernières années à la centrale nucléaire du Tricastin : sous-déclaration d’événements, arrêts de travail non respectés sous la pression de l’employeur, gestion plus qu’approximative des déchets radioactifs… et surtout, une importante inondation interne survenue fin août 2018, présentée comme un simple « écoulement d’eau » stoppé très rapidement. D’après les informations recueillies par Mediapart, 10 cm d’eau recouvraient le sol de locaux situés en zone nucléaire. Nettoyée dans des conditions chaotiques, cette eau fortement contaminée en tritium a pu s’infiltrer dans le sol, les joints entre les bâtiments étant défectueux. Une contamination des eaux souterraines est donc à craindre.

Au vu de la gravité des faits, les associations antinucléaires parmi nous déposent plainte aujourd’hui contre EDF et le directeur de la centrale du Tricastin pour infractions à la réglementation relative aux installations nucléaires de base, déclaration tardive d’incident à l’ASN, non-transmission d’informations à l’ASN, pollution des eaux, risques causés à autrui et infractions en droit du travail.

Les faits sont d’autant plus révoltants qu’il ne s’agit pas de problèmes isolés. Déjà, en 2013, les réacteurs du Tricastin avaient pollué les eaux souterraines (là encore, les faits avaient été déclarés tardivement et EDF avait mis 5 mois à détecter que l’infiltration était liée à un joint défectueux entre les bâtiments… qui n’avait d’ailleurs toujours pas été réparé lorsqu’est survenue l’inondation interne en août 2018. Si choquants que soient les faits, ils n’ont pas valu de condamnation à EDF notamment en raison de la prescription d’une partie des infractions relevées. Précisons également que ces pollutions répétées ont lieu sur l’une des centrales les plus dangereuses du pays, située en contrebas d’un canal dont la digue pourrait céder en cas de fort séisme ; malgré d’incessantes relances de l’Autorité de sûreté nucléaire, EDF, qui s’est saisie fort tard de la question, n’a toujours pas effectué la totalité des travaux requis pour que le risque soit écarté. Une enquête auprès du Parquet de Paris est actuellement en cours. En outre, le réacteur n°1 a récemment remporté la palme de la cuve la plus fissurée de France, avec ses 20 « défauts sous revêtement », connus depuis la construction en 1979 mais dont EDF se garde bien de préciser l’évolution depuis 40 ans.

Mais pour nos associations, les faits exposés par Mediapart dépassent le simple cas de la centrale nucléaire du Tricastin : cette dissimulation en dit long sur les pratiques d’EDF et doit nous alerter sur ce qui nous attend dans les années à venir.

Cette sous-déclaration d’événements graves a en effet un air de déjà-vu, tant la dissimulation de problèmes revêt désormais un caractère systémique au sein de l’industrie nucléaire. Malfaçons signalées avec des mois de retard sur le chantier de l’EPR, déclarations tardives d’incidents, fuites camouflées en « défaut d’étanchéité »… Les exemples ne manquent pas. Ils montrent clairement l’absurdité d’un système de contrôle de la sûreté reposant sur le postulat – disons plutôt le mythe ! – de la bonne foi des exploitants, censés déclarer immédiatement tout incident. Quant à l’Autorité de sûreté nucléaire, censée jouer le rôle de « gendarme », elle est tenue dans l’ignorance par EDF, dépourvue de moyens de sanctions adéquats et de plus en plus souvent placée devant le fait accompli.

Les pratiques documentées ici sont en tout cas de bien mauvais augure. Comme le souligne Mediapart, cette sous-déclaration d’événements survenus en août 2018 résulterait de la volonté d’EDF de présenter un bon bilan officiel en amont de la quatrième visite décennale du réacteur 1 du Tricastin. Si, un an avant, EDF dissimulait déjà des problèmes aussi graves, à quelles manigances faut-il s’attendre à l’occasion de cette échéance ? Cette étape est cruciale pour EDF, dans la mesure où ce réacteur sera le premier du parc à subir ce réexamen destiné à étudier les conditions de la prolongation de son fonctionnement au-delà de 40 ans. Il jouera en quelque sorte un rôle de vitrine… et de test.

L’attitude d’EDF laisse entendre que l’entreprise considère cette échéance comme une simple formalité. Même son de cloche du côté du gouvernement : la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie dévoilée en novembre dernier par Emmanuel Macron ne prévoit pas de fermetures de réacteurs (Fessenheim mis à part) avant 2025 au plus tôt. Rappelons d’ailleurs que François de Rugy, lors du passage de la Loi Énergie Climat à l’Assemblée Nationale, avait refusé un amendement proposant que des scénarios alternatifs soient rédigés si un ou plusieurs réacteurs devaient fermer pour raison de sûreté. Pour le gouvernement comme pour EDF, la prolongation du fonctionnement du Tricastin irait donc de soi ! Peu importent les questions qui se posent quant à la vulnérabilité de pièces affectées de défauts (et qui n’ont dans tous les cas pas été conçues pour une utilisation supérieure à 40 ans (comme les cuves, non réparables et non remplaçables).

Certes, l’Autorité de sûreté nucléaire répète à qui veut l’entendre que personne ne peut présager des conclusions de ce réexamen de sûreté. Mais au vu des enjeux, comment espérer qu’EDF lui présentera avec honnêteté et exhaustivité l’état réel de la sûreté au Tricastin – puis dans les autres centrales qui subiront ce réexamen ultérieurement ? Qui peut garantir que l’industriel ne pratiquera pas le fait accompli, en s’engageant à réaliser des travaux pour obtenir le feu vert de l’ASN sans les réaliser par la suite, et ce sans même que le « gendarme » ne soit en mesure de sanctionner cela ?

Enfin, au vu des difficultés financières que traverse actuellement EDF – qui pourraient sans doute s’accentuer avec les restructurations à venir –, il y a fort à craindre qu’EDF ne continue à faire passer la rentabilité à court terme avant la sûreté, et qu’une sûreté « low-cost » ne devienne la règle. À ce titre, la situation des travailleurs et travailleuses du nucléaire dévoilée par Mediapart doit nous alerter. Pris en tenaille entre la nécessité d’assurer les gestes nécessaires pour la sûreté et des conditions de travail de plus en plus dégradées, sans parler des injonctions de leur hiérarchie pour ne pas faire remonter les problèmes ou continuer à travailler en ignorant les arrêts de travail, leur mal-être est compréhensible. Nous saluons le courage de celles et ceux qui ont osé s’exprimer et espérons que leur témoignage encouragera d’autres lanceurs et lanceuses d’alerte à parler. Si la situation est d’ores et déjà difficile pour eux, comment imaginer que les travaux lourds et inédits destinés à prolonger le fonctionnement des réacteurs puissent se dérouler convenablement, sans mettre en danger les prestataires du nucléaire ni la population ?

Nous réitérons donc notre revendication : dans ces conditions, il n’est pas envisageable que le processus destiné à étudier la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans continue. Pour protéger l’environnement, les populations et les personnes travaillant dans les centrales, la procédure du « Grand carénage » doit être abandonnée et un plan de sortie du nucléaire élaboré en urgence… en commençant par l’arrêt des réacteurs du Tricastin.

Signataires:

Réseau «Sortir du nucléaire»

Stop Tricastin

Ma Zone Contrôlée

Stop Nucléaire Drôme-Ardèche

Sortir du nucléaire Sud Ardèche

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