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22 novembre 2024

Le trouble jeu du général Khaled Nezzar


France-Irak Actualité : actualités du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak et du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne.

Algérie – « Courage fuyons » :

Publié par Gilles Munier sur 29 Juillet 2019, 05:54am

Catégories : #Algérie

Khaled Nezzar, ex-ministre algérien de la Défense

 

Par Gilles Munier/

 

L’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar s’est « réfugié » en Espagne, craignant que les enquêtes lancées contre son fils Lotfi – qui l’a rejoint – ne débouchent sur une ISTN (Interdiction de Sortie du Territoire) le concernant et, in fine, sur l’ouverture de dossiers l’incriminant. Ces derniers ne manquent pas…

 

Depuis le déclenchement du Hirak, le général à la retraite navigue à vue. Le site « Algérie patriotique », porte-voix de son clan et brulot éradicateur, a d’abord qualifié le soulèvement populaire du 22 février de manipulation des services secrets marocains et français, puis a fermé précipitamment boutique le 24 avril suivant, redoutant les foudres d’Ahmed Gaïd Salah, actuel chef d’Etat-major de l’Armée Nationale populaire (ANP), qu’il a décrit jadis, mais sans oser le nommer, comme étant un individu « fruste et mégalomane ».

A malin, malin et demi 

Quelques jours plus tard, changement de tactique : Nezzar « révélait » sur « Algérie patriotique », ressuscité tout aussi précipitamment sur Internet, que Saïd Bouteflika, frère du président de la République, lui avait demandé des conseils pour mettre fin au Hirak, et parlé d’instaurer un Etat de siège et de limoger Gaïd Salah.

Pour enfoncer un peu plus Saïd Bouteflika, incarcéré pour « atteinte à l’autorité de l’armée » « et « complot contre l’autorité de l’État », et sans doute pour complaire à Gaïd Salah, Nezzar a confirmé ses dires devant le Tribunal militaire de Blida. Parallèlement, le site « Algérie patriotique » s’est repositionné en faveur du Hirak qu’il accusait d’être une création de  l’étranger !

A malin, malin et demi ! Ni le Hirak, ni Gaïd Salah n’ont mordu à l’hameçon et le virage à 180° de Nezzar  s’est terminé dans le décor. Il ne lui restait plus qu’à fuir en rase campagne.

Passons sur les ennuis de Lotfi Nezzar qui doit expliquer comment il a pu transférer 2 millions d’euros en Espagne alors que la législation algérienne l’interdit, et d’où vient l’argent. Passons aussi sur la plainte de la société américaine Chass qui accuse le clan Nezzar d’escroquerie (lire à ce sujet, l’enquête du journaliste d’investigation Hichem Aboud dans Mon journal: ce ne sont là que broutilles par rapport à ce qui est reproché nommément au général.

Une mafia d’anciens « déserteurs » de l’Armée française

Il est bon de rappeler que Khaled Nezzar est un ancien sous-officier de l’Armée française qui n’a rejoint l’Armée de Libération Nationale (ALN) qu’en 1958, c’est-à-dire 4 ans après le déclenchement de la guerre. Il fait partie des Déserteurs de l’Armée Française (DAF) et passe en Algérie – à tort ou à raison – pour avoir été infiltré dans le FLN par Roger Wybot, directeur de la DST. Il a gagné ses galons d’officier français grâce à la décision de Robert Lacoste, gouverneur général et ministre de l’Algérie, de promouvoir un certain nombre de militaires algériens.

Après la mort mystérieuse de Houari Boumediene, les DAF – surnommés Hizb al-França : Parti de la France – ont quasiment pris le pouvoir en Algérie. Avec Nezzar devenu ministre de la Défense, ils sont à l’origine de la déstabilisation du pays et de la guerre civile provoquée par l’annulation du processus électoral en 1991 et par le renversement du président Chadli Bendjedid en janvier 1992.

Aujourd’hui, les fils du président Mohamed Boudiaf, membre fondateur du FLN en 1954 et opposant historique au « système », accusent Nezzar et le général Toufik – ancien chef du DRS, le service secret – d’avoir commandité le meurtre de leur père en juin 1992.

Massacres, arrestations, tortures

S’il est jugé un jour, Khaled Nezzar – alors chargé du rétablissement de l’ordre – devra d’abord répondre de sa responsabilité dans les massacres, arrestations et tortures dont furent victimes les manifestants anti-système d’octobre 1988, un Hirak avant l’heure. Bilan: 500 morts.

Dans son livre « La mafia des généraux », malheureusement épuisé, Hichem Aboud rapporte que Nezzar aurait même ordonné à un tankiste de tirer au canon sur la foule. L’ordre, heureusement, n’a pas été exécuté.

Nezzar devra aussi répondre de la répression des manifestants opposés au coup d’Etat de 1992, tous accusés d’être des partisans du Front Islamique du Salut (FIS). L’un d’eux, Lyes Laribi, réfugié en France après 1 400 jours d’incarcération dans le camp de concentration d’In M’guel, au Sahara, puis à la prison militaire de Blida, décrit dans son livre témoignage –  « Dans les geôles de Nezzar » – les sévices endurés par les prisonniers. Son crime : avoir créé le premier syndicat étudiant libre d’Algérie. Il n’avait rien à voir avec le FIS.

(Nota : Le camp de concentration de In M’guel est implanté dans une connue pour être polluées par les essais nucléaires français).

En 2001, Lyes Laribi, auteur d’une « Histoire des services secrets algériens »  que j’ai préfacé, a porté plainte, avec d’autres, contre Nezzar pour « crime contre l’humanité ». Les autorités françaises ont exfiltré le général en urgence absolue via l’aéroport du Bourget…

Accusations d’escroqueries et de crimes de guerre

En Espagne, Nezzar n’est peut-être pas à l’abri d’une demande d’extradition vers la Suisse où le Tribunal Pénal Fédéral (TPF) a ordonné, en juin 2018, la réouverture de son dossier. A Genève, il est sous le coup d’une accusation de « crime de guerre », voire de « crime contre l’humanité ». Le TPF estime que Nezzar ne pouvait pas ne pas être conscient des exactions commises par ses subordonnés durant la décennie noire, lorsqu’il était ministre de la Défense : exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et actes de torture.

Pour mémoire, la sale guerre contre le FIS, dite décennie noire, s’est soldée par 150 000 morts ou plus, et entre 7 et 20 000 disparus. Tous ne sont évidemment pas à imputer à l’ANP, mais il faut bien constater que les plaintes déposées incriminent tout particulièrement certains officiers, et notamment le général Toufik nommé et promu par Nezzar.

Dans son témoignage publié par « Algérie patriotique », Nezzar reconnait avoir demandé, « en aparté », à Saïd Bouteflika, de remettre une lettre à son frère pour le prévenir que des commissions rogatoires lancées par le TPF visaient l’institution militaire algérienne.

Nezzar : Le retour ?

Après avoir fait annoncer que suite à une dégradation subite de son état de santé, il était hospitalisé à Madrid, Nezzar,  81 ans, s’est mis à diffuser des tweets fielleux contre Gaïd Salah. Le 26 juillet il a révélé avoir connaissance « informations crédibles… sur un projet d’arrestation arbitraire, immotivé et inique » qui l’empêchent de rentrer en Algérie. Puis, changeant d’avis deux jours plus tard, il s’est dit prêt, selon Algérie Part, à retourner au pays pour affronter les juges.

S’il ne s’agit pas encore d’un faux-fuyant, c’est un peu d’espoir pour les milliers de familles qui réclament justice et réparation pour les exactions commises sous son autorité.

Vidéo (54’39) abordant le même sujet : Interview de Gilles Munier par Hichem Aboud (Amel TV – 24/3/19)

Publié par Gilles Munier sur 29 Juillet 2019,

Catégories : #Algérie

Khaled Nezzar, ex-ministre algérien de la Défense

 

Par Gilles Munier/

 

L’ancien ministre de la Défense Khaled Nezzar s’est « réfugié » en Espagne, craignant que les enquêtes lancées contre son fils Lotfi – qui l’a rejoint – ne débouchent sur une ISTN (Interdiction de Sortie du Territoire) le concernant et, in fine, sur l’ouverture de dossiers l’incriminant. Ces derniers ne manquent pas…

 

Depuis le déclenchement du Hirak, le général à la retraite navigue à vue. Le site « Algérie patriotique », porte-voix de son clan et brulot éradicateur, a d’abord qualifié le soulèvement populaire du 22 février de manipulation des services secrets marocains et français, puis a fermé précipitamment boutique le 24 avril suivant, redoutant les foudres d’Ahmed Gaïd Salah, actuel chef d’Etat-major de l’Armée Nationale populaire (ANP), qu’il a décrit jadis, mais sans oser le nommer, comme étant un individu « fruste et mégalomane ».

A malin, malin et demi 

Quelques jours plus tard, changement de tactique : Nezzar « révélait » sur « Algérie patriotique », ressuscité tout aussi précipitamment sur Internet, que Saïd Bouteflika, frère du président de la République, lui avait demandé des conseils pour mettre fin au Hirak, et parlé d’instaurer un Etat de siège et de limoger Gaïd Salah.

Pour enfoncer un peu plus Saïd Bouteflika, incarcéré pour « atteinte à l’autorité de l’armée » « et « complot contre l’autorité de l’État », et sans doute pour complaire à Gaïd Salah, Nezzar a confirmé ses dires devant le Tribunal militaire de Blida. Parallèlement, le site « Algérie patriotique » s’est repositionné en faveur du Hirak qu’il accusait d’être une création de  l’étranger !

A malin, malin et demi ! Ni le Hirak, ni Gaïd Salah n’ont mordu à l’hameçon et le virage à 180° de Nezzar  s’est terminé dans le décor. Il ne lui restait plus qu’à fuir en rase campagne.

Passons sur les ennuis de Lotfi Nezzar qui doit expliquer comment il a pu transférer 2 millions d’euros en Espagne alors que la législation algérienne l’interdit, et d’où vient l’argent. Passons aussi sur la plainte de la société américaine Chass qui accuse le clan Nezzar d’escroquerie (lire à ce sujet, l’enquête du journaliste d’investigation Hichem Aboud dans Mon journal: ce ne sont là que broutilles par rapport à ce qui est reproché nommément au général.

Une mafia d’anciens « déserteurs » de l’Armée française

Il est bon de rappeler que Khaled Nezzar est un ancien sous-officier de l’Armée française qui n’a rejoint l’Armée de Libération Nationale (ALN) qu’en 1958, c’est-à-dire 4 ans après le déclenchement de la guerre. Il fait partie des Déserteurs de l’Armée Française (DAF) et passe en Algérie – à tort ou à raison – pour avoir été infiltré dans le FLN par Roger Wybot, directeur de la DST. Il a gagné ses galons d’officier français grâce à la décision de Robert Lacoste, gouverneur général et ministre de l’Algérie, de promouvoir un certain nombre de militaires algériens.

Après la mort mystérieuse de Houari Boumediene, les DAF – surnommés Hizb al-França : Parti de la France – ont quasiment pris le pouvoir en Algérie. Avec Nezzar devenu ministre de la Défense, ils sont à l’origine de la déstabilisation du pays et de la guerre civile provoquée par l’annulation du processus électoral en 1991 et par le renversement du président Chadli Bendjedid en janvier 1992.

Aujourd’hui, les fils du président Mohamed Boudiaf, membre fondateur du FLN en 1954 et opposant historique au « système », accusent Nezzar et le général Toufik – ancien chef du DRS, le service secret – d’avoir commandité le meurtre de leur père en juin 1992.

Massacres, arrestations, tortures

S’il est jugé un jour, Khaled Nezzar – alors chargé du rétablissement de l’ordre – devra d’abord répondre de sa responsabilité dans les massacres, arrestations et tortures dont furent victimes les manifestants anti-système d’octobre 1988, un Hirak avant l’heure. Bilan: 500 morts.

Dans son livre « La mafia des généraux », malheureusement épuisé, Hichem Aboud rapporte que Nezzar aurait même ordonné à un tankiste de tirer au canon sur la foule. L’ordre, heureusement, n’a pas été exécuté.

Nezzar devra aussi répondre de la répression des manifestants opposés au coup d’Etat de 1992, tous accusés d’être des partisans du Front Islamique du Salut (FIS). L’un d’eux, Lyes Laribi, réfugié en France après 1 400 jours d’incarcération dans le camp de concentration d’In M’guel, au Sahara, puis à la prison militaire de Blida, décrit dans son livre témoignage –  « Dans les geôles de Nezzar » – les sévices endurés par les prisonniers. Son crime : avoir créé le premier syndicat étudiant libre d’Algérie. Il n’avait rien à voir avec le FIS.

(Nota : Le camp de concentration de In M’guel est implanté dans une connue pour être polluées par les essais nucléaires français).

En 2001, Lyes Laribi, auteur d’une « Histoire des services secrets algériens »  que j’ai préfacé, a porté plainte, avec d’autres, contre Nezzar pour « crime contre l’humanité ». Les autorités françaises ont exfiltré le général en urgence absolue via l’aéroport du Bourget…

Accusations d’escroqueries et de crimes de guerre

En Espagne, Nezzar n’est peut-être pas à l’abri d’une demande d’extradition vers la Suisse où le Tribunal Pénal Fédéral (TPF) a ordonné, en juin 2018, la réouverture de son dossier. A Genève, il est sous le coup d’une accusation de « crime de guerre », voire de « crime contre l’humanité ». Le TPF estime que Nezzar ne pouvait pas ne pas être conscient des exactions commises par ses subordonnés durant la décennie noire, lorsqu’il était ministre de la Défense : exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et actes de torture.

Pour mémoire, la sale guerre contre le FIS, dite décennie noire, s’est soldée par 150 000 morts ou plus, et entre 7 et 20 000 disparus. Tous ne sont évidemment pas à imputer à l’ANP, mais il faut bien constater que les plaintes déposées incriminent tout particulièrement certains officiers, et notamment le général Toufik nommé et promu par Nezzar.

Dans son témoignage publié par « Algérie patriotique », Nezzar reconnait avoir demandé, « en aparté », à Saïd Bouteflika, de remettre une lettre à son frère pour le prévenir que des commissions rogatoires lancées par le TPF visaient l’institution militaire algérienne.

Nezzar : Le retour ?

Après avoir fait annoncer que suite à une dégradation subite de son état de santé, il était hospitalisé à Madrid, Nezzar,  81 ans, s’est mis à diffuser des tweets fielleux contre Gaïd Salah. Le 26 juillet il a révélé avoir connaissance « informations crédibles… sur un projet d’arrestation arbitraire, immotivé et inique » qui l’empêchent de rentrer en Algérie. Puis, changeant d’avis deux jours plus tard, il s’est dit prêt, selon Algérie Part, à retourner au pays pour affronter les juges.

S’il ne s’agit pas encore d’un faux-fuyant, c’est un peu d’espoir pour les milliers de familles qui réclament justice et réparation pour les exactions commises sous son autorité.

Vidéo (54’39) abordant le même sujet : Interview de Gilles Munier par Hichem Aboud (Amel TV – 24/3/19)

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