Un an après la mort de Kadhafi : la Libye n’a plus d’Etat
28 janvier 2013
Après la mort de Kadhafi : la Libye n’a plus d’Etat
Conflits tribaux, règne des milices islamistes, progression d’Al-Qaïda, chômage galopant et économie moribonde : depuis la mort de Mouammar Kadhafi, le 20 octobre 2011, la Libye peine à se reconstruire.
Post-révolution
Atlantico : Voilà maintenant un an jour pour jour que Mouammar Kadhafi, le dernier sacrifié des révolutions arabes, est mort à la grande joie des rebelles libyens. Comment se poursuit la transition démocratique libyenne ? Existe-t-il une démocratie en Libye ?
Hélène Bravin : Non, par pour l’instant. Ce sont les milices qui font la loi. Or la souveraineté de la loi fait partie des attributs de la démocratie et de la constitution d’un État. La police et l’armée sont embryonnaires, quasi inexistantes – et ne peuvent combattre ces milices, ces gangs… qui sont armés jusqu’aux dents. L’État n’a aucune autorité pour récupérer les armes excessivement nombreuses. Des vols, des kidnappings ont lieu, des Libyens quelle que soit leur appartenance sont enlevés, torturés dans des conditions épouvantables. Par ailleurs, les tribunaux ne fonctionnent pas normalement. Les détenus sont gardés par des miliciens islamistes et ce sont eux qui amènent les prisonniers devant les tribunaux, également bien encadrés par ces miliciens. Là aussi, l’autorité de l’État est inexistante.
Pourquoi les autorités ont-elles autant de mal à faire régner l’ordre ?
La Libye n’est pas confrontée, comme on l’imagine, à des éléments post-révolutionnaires. Ces derniers ont été depuis longtemps rattrapés par les éléments nocifs qui existaient déjà dans la société libyenne. Les gangs sont apparus, par exemple, dans les années 1990, sous l’époque de l’embargo alors que la société était en pleine déliquescence. Les Frères musulmans sont apparus bien avant même Kadhafi, et les salafistes djihadistes ont fait leur apparition lors de la guerre en Afghanistan au début des années 1980. Beaucoup ont été vétérans de cette guerre. Puis certains ont porté allégeance à Al-Qaïda. Kadhafi les a pourchassés et leurs mouvements ont été dissous. Depuis la mort de Kadhafi, tous ces éléments ont refait surface avec une violence inouïe.
Les frères musulmans, les salafistes, les islamistes djihadistes et Al-Qaïda progressent-ils ?
Les Frères musulmans et les salafistes sont pour l’instant minoritaires mais progressent lentement. Ce qui dessert notamment les salafistes, ce sont les exactions qu’ils commettent depuis des mois contre les mausolées des marabouts – les premières destructions datent du mois de février/mars. La population n’aime pas cela. Par ailleurs, ils sermonnent les femmes de porter le voile d’une façon agressive qui ne plaît pas non plus. En revanche, Al-Qaïda commence sérieusement à se structurer. La preuve en est l’assassinat de l’ambassadeur Christopher Stevens. Il existe des connexions entre Al-Qaïda au Mali et les libyens Djihadistes en Libye.
Existe-t-il des conflits tribaux ?
Plusieurs conflits tribaux sont récurrents en Libye. Le plus dangereux est celui qui se déroule actuellement entre les tribus de Misrata et celle de Beni Walid, à savoir les Warfalla. Ces tribus se disputent pour des raisons historiques : Misrata accuse les Warfalla d’avoir assassiné un héros de la résistance libyenne contre le colonialisme italien du début du siècle dernier. Également, parce que Beni Walid a été le dernier bastion pro-kadhafiste. Des enlèvements réciproques ont donc lieu régulièrement. Et pour l’instant personne ne réussit à régler le problème et à récupérer les membres de sa tribu. On comptabilise de nombreux morts et blessés parmi ces tribus. Ce conflit ne doit pas persister et s’étendre au risque de provoquer un vrai séisme – les Warfalla étant la plus grande tribu de Libye et implantée d’Est en Ouest. Pour l’instant, le conflit semble circoncit à la ville de Beni Walid, mais il reste dangereux.