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6 décembre 2024

Libye : L’OTAN et le Qatar par Arnaud Castaignet



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  Par Arnaud Castaignet Dimanche 18 décembre 2011
Après l’Otan, le Qatar prend en charge la suite des opérations en Libye. Ce qui confirme son rôle déterminant dans la guerre.
Si la situation reste confuse en Libye, une chose est sûre : le Qatar est probablement le grand vainqueur de l’intervention occidentale. Du soft power grâce à la chaîne Al-Jazeera au hard power par l’envoi des Forces spéciales, l’émirat a su s’imposer comme un acteur majeur de la transition. Au risque de déplaire aux  Libyens…
L’intervention en Libye s’est déroulée dans une parfaite harmonie entre les alliés de la coalition et les katibas sur place.
Nicolas Sarkozy a beau s’appuyer sur le Qatar dans sa diplomatie et sa politique industrielle, les griefs étaient suffisamment importants pour que le président français demande à Hamad bin Khalifa Al-Thani de ne pas menacer l’unité du CNT et de mieux coordonner son action en Libye avec celle des pays occidentaux. En effet, de nombreux membres du CNT apprécient assez peu l’influence grandissante du Qatar en Libye. Le 11 octobre, le ministre des Finances et du Pétrole libyen, Ali Tarhouni, avait évoqué à demi-mot les tensions avec le Qatar, en demandant aux alliés du CNT de « frapper avant d’entrer dans notre maison ».

Les plaintes libyennes viennent principalement du fait que, sur le terrain, les conseillers militaires qataris ont largement privilégié les groupes islamistes, comme ceux d’Abdelhakim Belhaj, d’Ismael Salabi, la Katiba des Martyrs d’Abu Salim, dirigée par Abu Sofiane Qumu, un ancien de Guantanamo ou encore la Katiba Obaida Ibn Jarrah, soupçonné d’avoir assassiné, le 27 juillet 2011, le général Abdul Younes mis en place par Moustafa Abdel Jalil pour tenter d’unifier les Katibas sous sa houlette.
Dans le Djebel Nefoussa (au sud de Tripoli), les Mukhabarat, le service de renseignement extérieur directement rattaché au palais de l’émir du Qatar, ont participé à la désignation des unités qui ont reçu les missiles anti-chars livrés par la France. Au total neuf cargaisons ont été parachutées. Une partie des armes reçues par les groupes choisis par les Qataris ont ensuite disparu, mettant à mal le désarmement des milices entamé par le CNT, à ajouter aux « 10 000 missiles sol-air » ayant été perdus en Libye, selon le Spiegel, citant les propos de l’amiral Giampaolo Di Paola, président du Comité militaire qui regroupe les chefs d’état-major des pays de l’Otan.
Le représentant de la Libye auprès de l’ONU, Mohammed Abdel Rahman Shalgam, déplore lui aussi l’ingérence qatarie dans son pays.

« Le Qatar a fait partie des pays qui nous ont fourni le plus grand soutien militaire, financier et politique [pour renverser le régime de Mouammar Kadhafi]. Nous les en remercions (…) Nous ne voulons pas qu’ils gâchent cet exploit par des actes d’ingérence insensés », a-t-il expliqué Mohammed Abdel Rahman Chalgam à Reuters en marge d’une conférence à Tanger.

Dans les colonnes du journal algérien Al Khabar, Mohammed Abdel Rahman Chalgam s’est montré plus virulent, mettant en garde l’émirat contre « tout accès de mégalomanie, en ayant l’illusion qu’il dirige la région ». « La délégation du CNT a accepté des choses qui lui ont été imposées par le Qatar, et que la majorité des Libyens refuse. La Libye ne sera pas un Emirat relevant de l’émir du Qatar », a-t-il prévenu avant de se montrer plus accusateur, affirmant que l’opération de collecte d’armes en Libye était une «supercherie», car « le groupe chargé de cette opération sous supervision qatarie, va collecter des armes et les redistribuer à d’autres ».
Dans une interview donnée à la chaîne panarabe Al Arabiya, l’ex-président du bureau exécutif du Conseil national de transition, Mahmoud Jibril, est allé dans le même sens, déclarant que les pétrodollars qataris alimentaient « les rivalités et les circuits de désaccords entre les rebelles et les divers courants qui gèrent la période post-Kadhafi, et ce, en répandant la sédition entre les frères libyens ». Certains chiffres commencent à sortir, on évoque ainsi la somme totale de 400 millions de dollars qui aurait été versée par l’émirat.
Le rôle du Qatar lors de l’intervention en Libye a été bien plus important que celui que l’émirat a d’abord annoncé. Après des mois à assurer que leur soutien n’avait été que logistique et aérien, l’émirat a admis que « des centaines de soldats » avaient aidé et formé les troupes au sol, notamment dans le Jebel Nafusa dès les premières semaines. Le Qatar a mis à disposition de l’Otan huit Mirage 2000 sur les douze qu’ils possèdent. Certains journalistes, comme Georges Malbrunot, avancent le chiffre de 5000 forces spéciales sur le terrain, d’après les propos du chef d’état-major du Qatar, le général Hamad ben Ali al-Attiya.
Le Qatar est d’ailleurs appelé à voir son rôle devenir de plus en plus important puisque l’émirat prendra en charge «la poursuite des opérations en Libye après la fin de la mission de l’alliance atlantique», a déclaré le général Hamad ben Ali al-Attiya. Selon lui, la nouvelle alliance militaire sur le terrain devrait comprendre 13 pays, dont les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne, mais sera chapeautée par le Qatar.

La présence à long terme du Qatar et des Emirats arabes unis permet de donner un « vernis » arabe à l’intervention de l’Otan et au printemps arabe en général. L’émirat a su jouer très efficacement la carte du soft power grâce à la chaîne Al-Jazeera. La couverture des révolutions arabes par la chaîne qatarie a laissé entrevoir un côté très offensif d’Al-Jazeera chargé de faire porter l’influence de Doha bien au-delà du Golfe.

Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, les locaux de cette chaîne à Bagdad étaient bombardés par l’armée américaine pendant le conflit irakien. A présent, Al-Jazeera est plébiscitée non seulement par la rue arabe mais également par les Occidentaux, notamment dans sa version anglophone, ce qui lui confère une influence encore plus importante. Cette consécration lui donne un poids diplomatique inédit : sa couverture, ou non, d’une révolution peut attirer l’attention, ou pas, des médias occidentaux. Ainsi, la chaîne ne parle quasiment pas de la répression, organisée en grande partie par l’Arabie saoudite, au Bahreïn, très probablement afin de ménager Riyad.

Beaucoup ont interprété le départ du directeur général de la chaîne, Waddah Khanfar, le 21 septembre 2011, et son remplacement par Sheikh Ahmed bin Jassim Al Thani, un cousin de l’émir, comme le signe d’une reprise en main de la chaîne par le pouvoir qatari. Comme le relève Yves Gonzalez-Quijano, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient, la couverture par la chaîne du conflit libyen relève quasiment de la propagande, l’exemple le plus marquant étant « l’opérette de la liberté » organisée pour le 15e anniversaire d’Al-Jazeera, ou encore l’hébergement de la chaîne privée Libya al-Ahrar (Libya for the free) dans ses locaux de Doha.

Bien sûr, comme le relève Kristian Coates Ulrichsen, spécialiste de politique de sécurité dans le Golfe à la London School of Economics, ce choix de focaliser l’attention médiatique sur les révoltes arabes lui permet également de détourner l’attention du Golfe, où les beaux principes de modernité et d’ouverture qu’il défend sont loin d’être unanimement respectés, Al-Jazeera ne critiquant quasiment jamais le conservatisme régnant au Qatar. Le Qatar se garde d’ailleurs bien de soutenir les mouvements laïcs au bénéfice de l’islam politique.
Par les armes, la diplomatie, l’argent et/ou les médias, le Qatar s’impose comme le sponsor principal de l’islam politique. On le voit en Tunisie avec ses liens très forts avec le parti Ennahda, avec la bénédiction des Etats-Unis, on le voit également en Libye. Cependant, la situation libyenne diffère un peu car, comme l’a relevé la blogueuse Sarah Ben Hamadi, Ennahda a le soutien des Américains qui pensent depuis longtemps à jouer la carte « Islam et politique » en favorisant l’émergence d’un « AKP tunisien ». Sur la scène libyenne, le Qatar soutient des chefs de guerre, anciens djihadistes, comme Abdelhakim Belhaj et Ismaïl Sallabi.
Washington a mis son homme dans la place en cooptant le général Khalifa Haftar, ancien exilé aux États-Unis et collaborateur de la CIA, au poste de chef d’état-major de l’armée, avec pour mission principale d’unifier les dizaines de groupes armés qui refusent de se placer sous le commandement de l’armée régulière. Cette tentative de normalisation a immédiatement provoqué la rage de Belhaj qui a répliqué en réclamant des ministères pour ses combattants en lorgnant tout particulièrement sur le ministère de la Défense.
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