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11 octobre 2024

L' »Irakisation » de la Libye


 

L’“IRAKISATION“ DE LA LIBYE

dans Balkan-Infos

“Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le palais d’Été. L’un a

pillé, l’autre a incendié. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant,

l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en

riant. Telle est l’histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés,

et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la

barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre

s’appellera l’Angleterre.“ (Victor Hugo, lettre au capitaine Butler).

 

17 mars, une date à retenir. Ce jour-là, un pays arabe, en l’occurrence, la Libye, est

entré dans l’engrenage de la partition, lâché par les siens, il fait l’objet d’une curée

savamment préparée depuis plusieurs mois pour s’emparer de richesses pétrolières

(deux à trois fois celles des Etats-Unis). Comme en Irak, le scénario est bien rôdé, il

s’agit cette fois, de protéger les Libyens contre Kadhafi. Après l’Irak, après la Somalie,

après le Soudan voici le tour de la Libye. Nous ne devons nous en prendre qu’à nousmêmes

car si l’impérialisme vient au secours des dissidents qu’il a créés c’est que les

potentats arabes n’ont jamais voulu de l’alternance. L’Islam a bon dos d’être défendu

par des bras cassés qui font dans la fatalité en acceptant leur sort sans se battre et

sans aller vers la science et la technologie.

 

Pour l’histoire, la France et la perfide Albion (l’Angleterre) sont de toutes les expéditions

guerrières contre les Etats faibles. En 1856, ils attaquent l’Empire ottoman; prétexte :

protéger les minorités chrétiennes. Ensuite, en octobre 1860, ce fut l’attaque de la Chine

décrite d’une façon saisissante par Victor Hugo. 1917, le dépeçage de l’Empire ottoman

par les sinistres accords Sykes-Picot. En 1956, la France attaque l’Egypte avec son

vieux complice de toujours, l’Angleterre, et Israël. En 1991, elle est dans la coalition

contre l’Irak. En 2008, elle est en Afghanistan. Une seule fois, elle s’est opposée à

l’aventure irakienne de Bush, en vain.

La France du président Sarkozy prend la tête d’une croisade – dixit El Kadhafi – contre

un potentat arabe, Kadhafi, au pouvoir depuis 42 ans.

Les réticences du restant du monde

“ll faut savoir que, mis à part les pays occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne,

France,) les 90 % de la planète ne sont pas d’accord avec les frappes. Pour l’Union

africaine, la coalition américano-européenne a mis à exécution sa déclaration de guerre

à la Libye, en effectuant plusieurs frappes maritimes et aériennes sur le pays, faisant

une cinquantaine de morts et près de 200 blessés parmi la population, en application de

la résolution 1973 de l’ONU recommandant “des mesures de protection des civils

libyens“. La France, qui fait de cette offensive une affaire personnelle, appuyée par les

Etats-Unis et la Grande- Bretagne, a fait entériner à Paris cette intervention lors d’une

réunion de l’Union européenne et de la Ligue arabe, au mépris de la position de l’Union

africaine qui entend privilégier la voie diplomatique et appelle à l’arrêt immédiat des

hostilités.

En effet, la coalition américano- européenne semble avoir décidé de prendre de court le

panel africain sur la Libye, formé par l’Union africaine et qui se réunissait à Nouakchott,

capitale mauritanienne, pour faciliter un dialogue inclusif entre les différentes parties, sur

les réformes nécessaires. De même, rapporte le Nouvel Obs, “l’intervention militaire

lancée le 19 mars en Libye est loin de faire l’unanimité au sein de la communauté

internationale. Les BRIC prudents, les grandes puissances émergentes se sont ainsi fait

remarquer par leur refus de toute ingérence. La Russie appelle la coalition internationale

à cesser de recourir à la force de manière ‘’non-sélective’’ et de faire ainsi des victimes

civiles. La résolution de l’ONU a été ‘’adoptée à la hâte’’, avait regretté plus tôt Moscou.

‘’Il faut rapidement arrêter les effusions de sang et que les Libyens entament le

dialogue’’, a déclaré le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères“. Pékin

‘’exprime ses regrets concernant les attaques militaires contre la Libye’’, indique un

communiqué. ‘’Nous espérons que la Libye peut rétablir la stabilité aussi vite que

possible et éviter de nouvelles victimes civiles liées à l’escalade d’un conflit armé’’. Et

l’Inde qui ‘’regrette’’ le 20 mars les frappes aériennes de la coalition, et ‘’considère avec

une grande inquiétude la poursuite de la violence, des conflits et la détérioration de la

situation humanitaire en Libye’’. ‘’Il n’y a aucun doute que les intérêts représentent le

motif essentiel de cette action militaire, le pétrole en est le carburant’’, écrit le quotidien

qui dénonce les ‘’aspects politiques et coloniaux’’ de l’intervention. Au Vénézuéla, Hugo

Chavez s’est montré particulièrement offensif jugeant ‘’irresponsable’’ l’intervention

armée. La Turquie demande un réexamen des plans que l’OTAN prépare depuis des

semaines pour la Libye, jugeant que l’intervention armée de la coalition change la

donne, rapportent des diplomates de l’alliance. Même La Haut-représentant de l’UE

pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, a refusé de reconnaître le CNT (Conseil

national de transition) et s’oppose à la zone d’exclusion aérienne. Pour l’universitaire

allemande, Annette Kaiser, l’Allemagne est réfractaire aux politiques d’interventions

militaires communes. Et elle s’est prononcée contre une opération en Libye et contre

l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne.

“On ne peut jamais être certain de ne pas déclencher une guerre civile. On se pose

aussi des questions sur la vraie raison de l’intervention en Libye. A-t-elle vraiment lieu

au nom des droits de l’homme? Dans ce cas, pourquoi choisir la Libye ? Et pas la Côte

d’Ivoire ? Le Zimbabwe ? Il est de notoriété publique que les Etats ne mettent en branle

leur puissance militaire que quand leurs intérêts directs sont en jeu…Ce n’est pas les

gentils d’un côté et les méchants de l’autre. L’Allemagne estime que Sarkozy règle aussi

des problèmes de politique intérieure avec la crise libyenne. Son taux de popularité

catastrophique dans les sondages, le jeu trouble de la France lors des révolutions

tunisienne et égyptienne… La Libye, c’est aussi une belle occasion d’apparaître comme

un défenseur des droits de l’homme.“

Même en France, Jean-Marie Le Pen a fermement critiqué la position française,

soupçonnant que derrière les motifs humanitaires invoqués se cachent des motivations

moins avouables: le contrôle du pétrole libyen. Il a aussi critiqué le rôle joué ces

derniers jours par Bernard-Henri Lévy, devenu une sorte de ministre des Affaires

étrangères bis.

 

L’attaque de la Libye était planifiée depuis plusieurs mois.

Pour Gilles Munier, “tout était préparé à l’avance. Sarkozy voulait sa guerre, il l’a – au

forceps – grâce à Bernard-Henri Lévy, Alain Juppé, et au gouvernement conservateur

anglais. Un exercice militaire de grande ampleur franco-britannique, planifié en trois

mois – au lieu de six habituellement – va lui faciliter la tâche. Il est prêt pour attaquer

“Southland“ entre le 21 et le 25 mars, un pays affublé d’un “régime dictatorial“ au sud de

la Méditerranée. Nom de code de l’opération : “Southern Mistral“, et celui de la première

frappe, ‘’Desert Storm’’! Elle est aujourd’hui programmée pour de vrai, quel que soit le

nom qui va lui être attribué pour donner le change.

Pour attaquer la Libye, donc, il ne manquait que l’habillage diplomatique de

l’intervention occidentale, c’est-à-dire la caution du Conseil de sécurité de l’ONU et la

constitution d’une coalition comprenant “nos bons vieux amis arabes“. C’est fait, en

urgence. On s’en souvient : “Desert Storm“ (Tempête du désert) était le nom choisi en

janvier 1991 par le Pentagone, pour l’attaque de l’Irak ordonnée par George Bush

(père). L’opération avait été précédée par un exercice quasi identique à ‘’Southland’’,

dirigé quelques mois plus tôt au Koweït, par le général Norman Schwarzkopf.

Le colonel Kadhafi n’est pas un ange, mais on a l’impression d’assister à un copiercoller

de la campagne de diabolisation du président Saddam Hussein : le Guide libyen

“bombarde son propre peuple“. Détail piquant: le Qatar, les Emirats arabes unis

participent à la guerre pour protéger le peuple. Les mêmes qui participent du côté de

l’Arabie Saoudite à l’oppression du peuple bahreïni. Bahrein, Yemen, Libye : un seul

combat. Les tyrans du monde réunis contre les peuples en lutte.

“Sur le plan régional, les choses risquent de se compliquer. Si les pétromonarchies du

Golfe ne cachent pas leur soutien à l’interventionnisme occidental, la Turquie et

l’Algérie, qui partagent une commune méfiance à l’égard de ce retour fracassant de la

France sur la scène internationale et maghrébine, se trouvent confrontées à un défi

stratégique et diplomatique majeur. Si la Turquie doit faire face à l’hostilité endémique

de la France de Sarkozy, violemment opposée à l’entrée de la Turquie au sein de l’UE,

l’Algérie sait qu’une intervention française réussie en Libye constituera une menace

directe à sa sécurité nationale dans la région du Sahel.“

Mohamed Tahar Bensaâda comparant les diplomaties turque et arabe décrit la première

comme une réussite face à la débâcle de la seconde. “Les Occidentaux exultent. (…) La

complexité de la crise libyenne, dont les derniers développements militaires sur le

terrain laissent présager un enlisement propice à toutes les éventualités, explique les

tergiversations dans le camp occidental. Si on laisse de côté les arguments

idéologiques pseudo-humanitaires servis dans les médias occidentaux et arabes pour

justifier une intervention occidentale, force est de constater que l’interventionnisme

occidental, relayé anticipativement par la Ligue arabe, obéit à une grossière logique

d’intérêts. Au Bahreïn, où un soulèvement pacifique, qui dure depuis plusieurs

semaines, en vue de réclamer une “monarchie constitutionnelle“ et des réformes

sociales, a été et continue d’être réprimé dans le sang par un régime féodal et

autocratique, ni les Américains, ni leurs alliés européens et arabes n’ont décelé de

“crimes contre l’humanité“ appelant un “devoir d’ingérence humanitaire“…

Heureusement, à côté de cette diplomatie arabe pusillanime, une puissance musulmane

est en train de montrer une autre voie, alliant réalisme et principes. Dans un entretien

accordé à la chaîne satellitaire Al Arabiya, le Premier ministre turc, Tayeb Erdogan, a

rappelé quelques principes qui devraient guider toute diplomatie arabe qui se respecte.

Avant toute chose, le leader turc a rappelé l’exigence de prendre en considération le

désir de changement profond exprimé par les peuples arabes, non sans préciser que ce

changement connaîtra des formes et des rythmes propres à chaque situation nationale.

Il a réaffirmé la position de la Turquie qui s’oppose à toute intervention étrangère. A cet

égard, il rappelle qu’il a eu un entretien téléphonique avec Kadhafi, et qu’il lui aurait

conseillé de proposer une personnalité consensuelle, en vue de superviser une période

de transition préalable à l’instauration d’un régime constitutionnel.

Mais si les développements militaires sur le terrain continuent à aller dans le sens d’un

enlisement durable et dangereux pour la sécurité et la stabilité de la région, il n’est pas

dit que la seule solution qui s’offre aux Américains et à leurs alliés soit de transporter

militairement les opposants de Benghazi jusqu’à Tripoli. Si une telle éventualité pouvait

voir le jour, ce n’est pas seulement la diplomatie turque qui en sortirait renforcée, mais

également la diplomatie arabe, qui pourrait ainsi se libérer de la tutelle réactionnaire des

pétromonarchies du Golfe.

Ce qui se passera ensuite

Felicity Arbuthnot décrit d’une façon saisissante le devenir de la Libye une fois

normalisée. Ecoutons-la : “Le bombardement de la Libye va commencer le jour – ou à

un jour près – du huitième anniversaire du début de la destruction de l’Irak, Il y aura de

nombreuses “erreurs tragiques“ et autres “dommages collatéraux“ de mères, pères,

enfants, bébés, grands-parents, écoles pour les sourds et muets, etc. Les

infrastructures vont être détruites. L’embargo restera en place; et rendra la

reconstruction impossible. L’Angleterre, la France et les USA décideront que le pays a

besoin d’être “stabilisé“, qu’il faut “l’aider à reconstruire“. Ils arriveront et prendront la

direction des installations et des champs de pétrole ; au début, les Libyens seront un

problème accessoire puis ils deviendront vite “l’ennemi“ des “insurgés“, on leur tirera

dessus, ils seront emprisonnés, torturés, victimes de toutes sortes d’abus – et un

“gouvernement“ fantoche, ami des USA, sera mis en place. Les envahisseurs

accorderont à leurs firmes des contrats pour la reconstruction, l’argent – qui sera sans

doute prélevé sans compter sur les actifs gelés – disparaîtra et le pays restera

largement en ruines.

Que dire de cet “effroi et stupeur“ qui attend la Libye? Honte sur la France, honte sur

l’Angleterre, les USA et sur l’ONU qui prétend: “protéger les générations suivantes du

fléau de la guerre“. Les noms de ces pays et de l’ONU seront inscrits avec le sang de

leurs victimes : chaque corps brisé, chaque enfant estropié ou réduit en bouillie, chaque

veuve, veuf ou orphelin, sur chacune de leurs tombes.

Avec le temps, nous apprendrons qui a intrigué, soudoyé, déstabilisé et sans doute que

peu de gens seront surpris de ce qu’ils découvriront. Mais il sera trop tard, la Libye sera

depuis longtemps détruite et sa population éperdue se sera enfuie ou aura été

déplacée. Quand on a affaire aux “libérateurs“, il faut faire attention à ce qu’on dit. Dans

six mois à peu près, la plupart des Libyens, regretteront amèrement les 40 dernières

années de pouvoir quelles que furent ses imperfections…

Tout est dit, l’irakisation, prélude à la partition, est inéluctable. Pourtant, si on mobilise

l’intelligence. Le pétrole arabe doit appartenir à la jeunesse arabe, nous avons une

occasion unique dans l’histoire de faire revivre notre civilisation en faisant notre mea

culpa et en allant à marche forcée vers le progrès comme le fait l’Indonésie, la Turquie

et surtout l’Iran qui est du point de vue scientifique un exemple à suivre. Débarrassonsnous

des scories du mimétisme, restons éveillés, ce qui arrive à la Libye risque de nous

arriver, prenons les bonnes décisions avant que cela ne soit trop tard.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole nationale polytechnique, L’Expression, 22 Mars 2011

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