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18 avril 2024

Leçons libyennes


Par : Afrique-Asie
Publié le : 26/11/12
Dans une remarquable étude cosignée par Robert Malley et Hussein Agha dans le New York Review of Books à propos de l’Égypte et du « printemps arabe », intitulée : « Ceci n’est pas une révolution » (« This is not a revolution »), les deux auteurs, connus pour la rigueur de leurs analyses et leur profonde connaissance du monde arabe, disent enfin tout haut ce que beaucoup commencent timidement à chuchoter.
Certes, il est encore trop tôt pour en dresser le bilan en Tunisie, en Égypte et au Yémen, où la vague de ce qui a été abusivement appelé « printemps arabes » a déferlé sur la région à partir de la Tunisie le 14 janvier 2011 (donc en plein hiver…) et emporté successivement les régimes autocrates du Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali, de l’Égyptien Hosni Moubarak et du Yéménite Ali Abdallah Saleh, après des protestations populaires sans précédent et une répression sanglante. Mais on peut procéder à des constatations préliminaires. En Tunisie et en Égypte, à l’issue d’élections mal préparées et organisées, c’est le parti islamiste d’Ennahdha et les Frères musulmans qui ont emporté la mise.
Au grand dam des forces démocratiques et progressistes à l’origine de la contestation, qui en ont payé le plus lourd tribut. Au Yémen, si l’ancien président Saleh a fini par céder la place à son second, rien n’a changé pour autant. Le même système tribalo-sécuritaire, vassal des États-Unis, se maintient, avec le risque d’un éclatement du pays.
Quant au Bahreïn, petit archipel du Golfe peuplé d’une majorité d’Arabes chiites mais gouverné par une dynastie sunnite aussi corrompue que répressive, la contestation populaire revendiquant plus d’équité, de démocratie et de justice sociale a été réprimée – et continue de l’être – dans le sang. La monarchie bahreïnie n’a pu être maintenue que grâce à l’intervention de l’armée saoudienne et des autres pétromonarchies moyenâgeuses et théocratiques du Golfe, grandes exportatrices de la démocratie devant l’Éternel ! Contestation démocratique au départ, la révolte populaire bahreïnie a été dévoyée pour apparaître comme le prolongement d’un conflit imaginaire, une nouvelle fitna (discorde), entre le chiisme conduit par l’Iran théocratique et le sunnisme conduit par le wahhabisme saoudo-qatari.
C’est dans la foulée que la désastreuse expédition contre la Libye est intervenue, présentée comme une « guerre juste » visant d’abord à protéger la population de Benghazi d’un massacre « imminent », qui a conduit le Conseil de sécurité de l’Onu à adopter deux résolutions successives (n° 1970 et 1973), en vertu d’un « droit de protéger » prévu dans la charte onusienne depuis 2005. Très vite, la France de Sarkozy et le Royaume-Uni de Cameron, soutenus massivement et aveuglément par les élites médiatiques et politiques occidentales, pervertissent ces deux résolutions pour transformer le prétendu « droit de protéger » en un droit de changer militairement un régime.
Cette imposture humanitariste occidentale est lourde de conséquences sur le système international. Elle a engendré une nouvelle guerre froide dont on voit aujourd’hui les effets calamiteux en Syrie et dans l’ensemble de la région. En Syrie même, la contestation démocratique légitime a été récupérée par les ultras du régime et une bonne partie de l’opposition djihadiste financée par les monarchies du Golfe, ou supplétive de l’Otan. Résultat, ce pays est devenu le nouveau terrain de confrontation entre les Occidentaux d’une part, et la Chine, la Russie et la plupart des pays émergents de l’autre. Dans les deux cas, ce sont les vrais démocrates qui en font les frais.
En Libye, qui vient de célébrer dans le sang le premier anniversaire du renversement du régime, avec la vendetta des milices de Misrata contre Bani Walid, le fief tribal de Kadhafi, un premier bilan provisoire s’impose. La campagne militaire de l’Otan a entériné la mise sous tutelle occidentale de ce pays pétrolier, favorisé l’épuration ethnique et le massacre de tribus libyennes passées du mauvais côté. Il a aussi provoqué la déstabilisation du Sahel et du Mali. La gestion des avoirs gelés est opaque. L’argent des Libyens est désormais géré par des non-Libyens.
Un deal semble avoir été passé entre le pouvoir fantoche actuel et les puissances occidentales : en échange de l’abandon de la souveraineté politique et économique, les collabos de l’occupation ont les mains libres pour tuer et violer les droits humains. Même la Cour pénale internationale et l’Onu sont incapables de conduire la moindre enquête sur ces exactions. Des personnalités de l’ancien régime sont remises aux autorités d’un pays qui prévoit la peine de mort. Tout est bien orchestré pour la cérémonie de pendaison programmée de Seif al-Islam, fils de Kadhafi, et de Senoussi, chef du service de renseignements militaires, cobayes d’une parodie de justice. Kadhafi, lui, a été assassiné, mais ses meurtriers ne sont pas inquiétés.
Tout le Sahel est aujourd’hui déstabilisé par la guerre de Libye. Ce pays est devenu le centre des trafics d’armes qui alimentent les terroristes au nord du Mali, et bientôt au Niger.
Paradoxalement, ni Sarkozy ni Cameron, et encore moins l’émir du Qatar, qui se trouvait pendant cette macabre « célébration » à Gaza, chez ses obligés du Hamas pour mieux aggraver les divisions palestiniennes, n’était pas à ce premier anniversaire. On aura remarqué le silence assourdissant de Bernard-Henri Lévy qui a pourtant appelé haut et fort à l’extermination de Kadhafi. Mais il faut lui reconnaître de la constance dans l’imposture, puisqu’il a choisi la même date pour pondre, avec quelques professionnels médiatiques, une pétition au titre éloquent : « Assez de dérobades, il faut intervenir en Syrie ! »
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