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29 mars 2024

Dieudonné vu par sa mère


Dieudonné vu par sa mère

Le Point.fr – Publié le 03/02/2014 à 06:03

En 2009, nous avions eu un long échange de courriels avec Josiane Grué, la mère de Dieudonné. Elle y défendait son fils. Depuis, elle n’a pas changé d’avis.
Dieudonné avant l’avant-première de son film « L’antisémite », financé par l’Iran, où joue le négationniste Robert Faurisson. Dieudonné avant l’avant-première de son film « L’antisémite », financé par l’Iran, où joue le négationniste Robert Faurisson. © Patrick Kovarik / AFP
Par Emmanuel Berretta

Par Gilles Pudlowski

Josiane Grué, la mère de Dieudonné, est sociologue de formation. Après avoir travaillé durant 30 ans dans l’audiovisuel d’entreprise, elle est désormais retraitée. En avril 2009, à l’occasion d’un portrait de son fils, nous avions eu un long échange de mails avec cette femme (voir ci-dessous). Sa vision – forcement conciliante avec les opinions de son fils – n’est cependant pas dépourvue d’intérêt… À l’époque, Dieudonné n’était pas allé aussi loin que lors de son dernier spectacle frappé d’interdiction. Aujourd’hui, Josiane Grué persiste : « Je défends toujours mon fils. » Elle estime que les médias déforment les propos de Dieudonné…

Le Point : À partir de quand avez-vous senti poindre chez lui une conscience politique ?

Josiane Grué : En dehors du fait que son métissage lui a fait, parfois, rencontrer le racisme primaire et prendre conscience assez tôt des problèmes de discrimination, quelques événements tragiques (comme l’assassinat du jeune Ali à Marseille par un colleur d’affiches du Front national et d’autres événements politiques divers) ont éveillé sa conscience politique.

J’ai lu sur Internet que vous étiez vous-même une citoyenne engagée. Est-ce un trait de famille ? Est-ce qu’on parlait souvent politique à table ? Bref, êtes-vous pour quelque chose dans son virage vers la politique et l’engagement en faveur du peuple palestinien, par exemple ?

J’ai des opinions politiques, mais je ne suis pas vraiment « engagée ». Dieudonné l’est beaucoup plus que moi et que le reste de la famille. Je ne suis pour rien dans son virage vers la politique et son engagement pour le peuple palestinien, même si je suis en accord avec lui sur de nombreux points. Ses expériences de vie, son observation du monde dans lequel il vit et ses réflexions personnelles sont seules responsables de son positionnement politique. J’oserais même dire que cette stupéfiante histoire de lynchage qu’il a vécue ces dernières années (pour un sketch humoristique à la télé !) a été plutôt formatrice pour moi. J’ai commencé à m’informer plus sérieusement qu’avant (grâce à Internet) sur les problèmes de la France et du monde. Je ne peux que l’en remercier.

A-t-il de l’humour sur lui-même ?

Il suffit d’aller voir ses spectacles pour comprendre qu’il a un fort sens de l’autodérision. Il ne s’épargne pas ! Une des forces de Dieudonné est justement cette distance étonnante qu’il peut avoir par rapport aux problèmes de ce monde, y compris les siens. Il y a là une certaine sagesse, que seuls les gens qui le côtoient régulièrement (ses spectateurs fidèles par exemple) peuvent percevoir.

Le succès est arrivé et avec lui l’argent. Comment Dieudonné a-t-il géré sa notoriété subite et son rapport à l’argent ?

Il a connu en effet une période faste où l’argent a coulé. Il a toujours gardé son sang-froid par rapport à ça. Quant à la gestion de sa carrière ou de son argent, indépendant comme il est, pouvez-vous imaginer que j’ai pu lui donner quelque conseil ?! Il a beaucoup de fans qui viennent le voir et le féliciter après ses spectacles. Je peux vous dire qu’il reste très chaleureux, très simple et particulièrement accessible. Pour résumer, il n’a jamais eu la « grosse tête ». Ses spectateurs pourraient vous le confirmer.

Sa première participation électorale remonte à 1997, contre une candidate du FN à Dreux (Mme Stirbois). Comment expliquez-vous que onze ans plus tard, il demande à Jean-Marie Le Pen de parrainer sa fille et que le baptême soit effectué par un prêtre traditionaliste, l’abbé Laguérie ?

Combien de fois faudra-t-il redire aux médias que Dieudonné n’est pas au Front national et n’a jamais voté pour celui-ci. Il souhaitait rencontrer différents responsables de partis. Seul Le Pen lui a ouvert les portes et a accepté de dialoguer avec lui. Ce n’est pas parce que Dieudonné n’adhère pas aux thèses du FN qu’il n’a pas trouvé quelques points d’accord avec l’homme Le Pen. Dieudonné est un homme de dialogue depuis toujours. Il serait prêt à rencontrer n’importe quel extrémiste sioniste. Mais on a préféré diaboliser Dieudonné (plutôt que de dialoguer avec lui). C’est plus facile.

Il faut avoir un fort sens de la « dérision » et une certaine distance philosophique pour comprendre la provocation de Dieudonné dans cette histoire de baptême. Il s’en explique d’ailleurs dans son spectacle J’ai fait l’con. Je vous conseille d’aller le voir. Tout cela fait partie de son oeuvre humoristique ! Je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais d’accord avec cette initiative… Mais Dieudonné, c’est Dieudonné.

L’abbé Laguérie est à des milliards de kilomètres de Dieudonné. Pour comprendre ce décalage énorme, il faut abandonner un moment la « pensée conforme », le conditionnement psychologique habituel, et imaginer un Dieudonné qui a dépassé certaines catégories mentales de la bien-pensance générale. Il voit les choses d’un point de vue situé hors champ, avec la légèreté de l’homme libre. Ce que vous considérez peut-être comme un horrible scandale le fait rire. Il n’est marié, ni avec Le Pen, ni avec Laguérie, ni avec personne, mais il ouvre les frontières… Dieudonné est avant tout un humaniste et un anti-communautariste. Les frontières communautaires, ethniques, religieuses l’ennuient profondément. Il n’a de cesse de les ridiculiser dans ses spectacles. La crispation identitaire de ceux qui l’attaquent semble s’opposer à cette vision globale.

L’ostracisme dont il est l’objet à la télé, vous en parle-t-il ? Cela l’affecte-t-il ? Ou bien, au contraire, est-ce que cela le renforce dans ses convictions et justifie son engagement par ailleurs ?

Ce qui ne tue pas rend plus fort. Bien entendu, il a été affecté par cet ostracisme qu’il a vécu comme une injustice stupéfiante. Desproges est allé plus loin que Dieudonné dans certains sketches et n’a jamais eu aucun problème. Autre temps, autre liberté d’expression. Cette expérience, cette connivence politico-médiatique destructrice l’ont, bien entendu, éclairé davantage sur l’état de notre société.

Vous qui militez contre les oppressions en général, approuvez-vous toutes les attitudes politiques de votre fils ? Par exemple, quand il fréquente des personnes qui nient l’existence de la Shoah (je pense à Faurisson) ou qu’un avion se soit écrasé sur le Pentagone (je pense à Thierry Meyssan). J’ai du mal à croire que vous puissiez approuver… Ou alors il y a quelque chose que je n’ai pas compris.

Vous m’attribuez une « militance » que je n’ai pas ou qui est bien tiède par rapport à tous les besoins de ce monde. Je suis une retraitée calme et tranquille. Les initiatives de mon fils me surprennent toujours et je ne peux pas dire que je les approuve, puisque je sais qu’elles le mettront en danger.

Dieudonné a effectivement fait une nouvelle provocation en invitant Faurisson au Zénith pour lui remettre non pas un « prix d’honneur » (comme pourraient le laisser supposer les commentaires outrés des médias !) mais un « prix de l’infréquentabilité ». Ce monsieur nie l’existence des chambres à gaz. La loi Gayssot lui interdit d’affirmer cela, ce qui en fait un personnage infréquentable. Il nie également l’existence de Gorée, lieu important pour la mémoire de l’esclavage. Mais cela n’émeut ni les politiques ni les médias. On reproche donc à Dieudonné d’inviter Faurisson uniquement parce qu’il a osé remettre en cause l’existence des chambres à gaz. Qu’il ait pu éventuellement nier tous les autres crimes contre l’humanité, ça n’a aucune importance. Ce qui a sans doute suscité (chez Dieudonné) l’envie de cette provocation. Dieudonné, quant à lui, n’a jamais nié les chambres à gaz, mais on ne va sans doute pas tarder à affirmer qu’il les nie lui-même puisqu’il a osé rencontrer Faurisson. Je m’attends à tout !

Quant à Thierry Meyssan, je signale qu’il n’est pas le seul à remettre en cause la thèse officielle sur le 11 Septembre. En dehors de Jean-Marie Bigard et de Marion Cotillard, il y a des centaines d’experts qui ont exprimé leurs doutes avec arguments scientifiques à l’appui, et des milliers de personnes dans le monde (dont de nombreux Américains) qui ont vu les différents films (visibles sur Internet) traitant de ce sujet. Ni Dieudonné, ni moi, ni les autres ne connaissons la vérité. Il est étonnant que Thierry Meyssan soit, lui aussi, mis au ban de la société (avec menaces de mort) pour avoir donné son opinion à ce sujet.

Je suis surprise par la facilité inquiétante avec laquelle les médias peuvent diaboliser et mettre au ban de la société des personnes qui osent exprimer des opinions contraires aux leurs. Cela me semble assez inquiétant dans un pays qui se dit « démocratique ».

Je reviens également sur la mémoire de l’esclavage dont il a fait l’un de ses combats. Noble cause que tout esprit républicain défendra. Mais Dieudonné ajoute une lecture supplémentaire. Si j’ai bien lu, il entre dans une compétition victimaire avec d’autres grands malheurs (la Shoah) et estime qu’il y a « deux poids, deux mesures ». Est-ce une conviction partagée ? Et comment voulez-vous rééquilibrer le traitement de toutes les victimes ?

Cette question est complexe. (…) Dieudonné n’est jamais entré dans une compétition victimaire avec la Shoah. C’est au contraire quelques représentants de la communauté juive (élites intellectuelles et médiatiques) qui ont joué cette compétition victimaire. Comme si le fait de réclamer enfin ce travail de mémoire sur des siècles d’esclavage et de colonisation allait faire de l’ombre à la mémoire de la Shoah, qui pourtant ne manque pas de commémorations, films, documentaires, émissions, livres, etc. Dieudonné n’a jamais nié la Shoah. Y a-t-il deux poids, deux mesures, me demandez-vous ? Un exemple : il y a des centaines de films traitant de la souffrance juive pendant la guerre, il n’y a aucun film français sur l’esclavage. Le deux poids, deux mesures est largement « explosé » !

Pour finir, si vous deviez citer trois qualités et trois défauts de votre fils ?

Qualités : digne, courageux, non violent. Défauts : têtu, excessif…, je n’arrive pas à trouver le troisième !

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