Aller à…
RSS Feed

20 avril 2024

De Vladimir Ilitch Lénine à Muammar Gaddhafi


 

La Lettre de Michel J. CUNY Numéro spécial Libye (suite) juin 2014 Éléments biographiques : www.cunypetitdemange.sitew.com

Contact : michelj.cuny@orange.fr
Pour aider à sortir de l’ornière qu’on s’efforce de nous imposer…

De Vladimir Ilitch Lénine à Muammar Gaddhafi

La mort de certains grands responsables politiques est une bien belle affaire pour la fine équipe des maquilleurs de cadavres…

C’est Daniel Bensaïd qui nous l’a fait savoir, malgré lui, en rédigeant la toute première phrase de sa Préface au livre de Moshe Lewin, Le dernier combat de Lénine, paru aux Éditions de Minuit (1978) :

« Lorsque, voici plus de dix ans, Moshe Lewin prononça à Paris ses conférences sur les derniers écrits de Lénine, ses auditeurs le pressèrent d’en faire un livre, un roman, une pièce de théâtre… »

Ici comme ailleurs, tout est sans doute dans les points de suspension. Car tout y est, bien sûr, possible, et parfaitement réalisable, de sorte que même une chatte n’y retrouverait pas ses petits.

Au-delà des manoeuvres autour du Testament de Lénine, qu’en a-t-il été, par exemple, pour Muammar Gaddhafi dès après sa mort ? C’est ce que je suis allé demander à Françoise Petitdemange qui vient de publier La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011).

Françoise Petitdemange : À l’occasion de la remise des premiers diplômes de l’AMF (Académie Militaire Féminine) aux premières femmes en armes libyennes, Muammar Gad- dhafi a prononcé, le 1er septembre 1981, soit douze années après la Révolution, un Discours dont voici deux extraits :

1. « Nous, dans la Jamahiriya et la grande révolution, affirmons notre respect des femmes et levons leur drapeau. Nous avons décidé de libérer totalement les femmes en Libye pour les arracher à un monde d’oppression et d’assujettissement de manière qu’elles soient maîtresses de leur destinée dans un milieu démocratique où elles auront les mêmes chances que les autres membres de la société (…). »

2. « Nous appelons une révolution pour la libération des femmes de la nation arabe et ceci est une bombe qui secouera toute la région arabe et poussera les prisonnières des palais et des marchés à se révolter contre leurs geôliers, leurs exploiteurs et leurs oppresseurs. Cet appel trouvera sans doute de profonds échos et aura des répercussions dans toute la nation arabe et dans le monde. Aujourd’hui n’est pas un jour ordinaire mais le commencement de la fin de l’ère du harem et des esclaves. »

En 2012, soit un an après la mort de Muammar Gaddhafi, un “livre” paraissait sous le titre : Les proies dans le harem de Kadhafi.

Ce “livre” d’Annick Cojean, présenté comme un « livre-enquête », commence sous la forme d’un conte : « Soraya et son histoire démente de petite fille joyeuse, jetée entre les griffes d’un ogre. »

À propos de Soraya, la journaliste raconte : « Je l’ai rencontrée un de ces jours de liesse et de chaos qui ont suivi la capture et la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en octobre 2011. J’étais à Tripoli pour le journal Le Monde. J’enquêtais sur le rôle des femmes dans la révo- lution. »

Or, 2011 ne fut pas une « révolution » mais une guerre coloniale doublée d’une contre- révolution en réaction à la révolution du 1er septembre 1969. De suite, le ton est donné :

« Je n’étais pas une spécialiste de la Libye. C’est même la première fois que j’y débarquais, fascinée par le courage inouï dont avaient fait preuve les combattants pour renverser le tyran installé depuis quarante-deux ans, mais profondément intriguée par l’absence totale des femmes sur les films, photos et reportages parus les derniers mois. »

« Courage » des « combattants pour renverser le tyran » ?… S’il n’y avait eu les bombes occi- dentales… le peuple libyen se gouvernerait encore lui-même, dans sa réelle démocratie directe ; mais A.C. ignore sans doute les documents libyens réels rédigés au cours des quarante-deux années écoulées. Quant à l’ « absence totale des femmes sur les films, photos et reportages » des « derniers mois », cela n’est certainement pas dû à la Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste mais au passage d’une société quasi laïque à une société appuyée sur une charia dure pour ne pas dire féodale.

Résultat de la « révolution » de 2011 pour les femmes que la journaliste prétend soutenir :

« Des collègues masculins qui avaient suivi la rébellion de Benghazi à Syrte m’avaient avoué n’avoir jamais croisé que quelques ombres furtives drapées dans des voiles noirs, les combattants libyens leur ayant systématiquement refusé l’accès à leurs mères, leurs épouses ou leurs soeurs. « Tu auras peut-être plus de chance ! » m’avaient-ils dit, un brin goguenards, convaincus que l’Histoire, dans ce pays, n’est de toute façon jamais écrite par les femmes. »

L’enquête – très impartiale – de la journaliste n’a – bien évidemment – eu lieu qu’auprès des opposants à la Jamahiriya… « Les femmes, me dit un chef rebelle, avaient constitué « l’arme secrète de la rébellion ». Elles avaient encouragé, nourri, caché, véhiculé, soigné, équipé, renseigné les combattants. Elles avaient mobilisé de l’argent pour acheter des armes, espion- né les forces kadhafistes au profit de l’OTAN, détourné des tonnes de médicaments, y compris dans l’hôpital dirigé par la fille adoptive de Mouammar Kadhafi (oui, celle qu’il avait – faussement fait passer pour morte, après le bombardement américain de sa résidence en 1986). Elles avaient pris des risques fous : celui d’être arrêtées, torturées, et violées. Car le viol considéré en Libye comme le crime des crimes était pratique courante et fut décrété arme de guerre. Elles s’étaient engagées corps et âme dans cette révolution. Engagées, stu- péfiantes, héroïques. « Il est vrai que les femmes, me dit l’une d’elles, avaient un compte personnel à régler avec le Colonel. » »

Mais, qui étaient ces femmes fortunées au point de mobiliser « de l’argent pour acheter des armes » à l’usage des « rebelles » au service de l’ennemi occidental qui détruisait leur pays et le peuple libyen ? Selon la journaliste, espionner les défenseurs de la Libye, trahir son pays, « au profit de l’OTAN » qui le bombarde, détourner « des tonnes de médicaments », au profit des un(e)s et donc au détriment des autres hommes, femmes, enfants –, sont autant d’actes de bravoure !

« L’ensemble du peuple libyen qui venait d’endurer quatre décennies de dictature n’avait-il pas un compte commun à régler avec le despote ? Confiscation des droits et libertés indivi- duels, répression sanglante des opposants, détérioration des systèmes de santé et d’édu- cation, état désastreux des infrastructures, paupérisation de la population, effondrement de la culture, détournement des recettes pétrolières, isolement sur la scène internationale… »

La journaliste, sait-elle de quoi elle parle ?

Pour ma part, ayant pris la peine de lire, pendant deux ans, les documents libyens rédigés en arabe et traduits par des universitaires français et tunisiens, je n’hésite pas à dire que les élucubrations d’A.C. sont en contradiction avec les textes et la réalité de la Libye révolution- naire du 1er septembre 1969. Mais, sans doute, lui fallait-il, dans son livre, masquer par des horreurs les quarante-deux années d’une Histoire qui ne peut que faire pâlir d’envie les Fran- çaises et les Français qui commencent à la connaître.

Pour de plus amples informations, se reporter à : www.francoisepetitdemange.sitew.fr

 

Partager

Plus d’histoires deLibye