« We came, we saw, he died » [1].
C’est ainsi que Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, avait accueilli l’annonce du sauvage assassinat de Kadhafi. La tirade césarienne, théâtralement prononcée en appuyant chaque phrase avec un mouvement de l’avant-bras, était accompagnée d’un sourire fendu jusqu’aux oreilles, d’yeux pétillants de joie et d’un gloussement de plaisir que seul un profond bonheur peut procurer. La nature humaine est ainsi faite : il y a des sentiments qu’il est difficile de dissimuler, même lorsqu’on est au sommet du pouvoir et que la retenue est une exigence de la fonction.
Réaction de Hillary Clinton à l’annonce de la mort de Kadhafi
Mais pourquoi diable madame Clinton a-t-elle réagit si joyeusement à un lynchage si inhumain ? Éprouvait-elle tant d’animosité pour Kadhafi qu’elle n’a pas pu respecter son devoir de réserve ?
Et cela nous amène à une question fondamentale : l’inimitié des décideurs politiques peut-elle influencer la politique d’un pays envers un autre, quitte à y provoquer le chaos, la mort et la désolation ?
La Libye
Comme dans le cas de la Tunisie et de l’Égypte, des appels à manifester en Libye ont été relayés par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête. Ainsi le 17 février 2011, un « Jour de colère » a été décrété, évènement qui a collecté près de 10 000 inscriptions sur Facebook. La contestation n’a pas débuté dans la capitale, mais à Benghazi, la seconde ville du pays. Des jeunes ont manifesté dans les rues, brandissant des pancartes avec des slogans identiques à ceux utilisés lors des révolutions colorées et des vidéos bas de gamme ont été diffusées par les médias mainstream.
Mais la situation a rapidement dégénéré. La jeunesse a vite disparu de la scène pour laisser place à des acteurs beaucoup plus à l’aise dans le maniement des kalachnikovs que dans les claviers d’ordinateurs. La révolte s’est ainsi rapidement métamorphosée en guerre civile et les insurgés se sont regroupés sous un « nouveau-ancien » drapeau qui n’était autre que celui qui existait du temps du roi Idriss Senoussi, renversé en 1969 par le colonel Kadhafi.
Galvanisée par l’impulsion du « printemps » arabe, la rébellion anti-Kadhafi s’est regroupée autour d’une entité politique se nommant le Conseil national de transition (CNT). Bernard-Henri Lévy (BHL), le philosophe-guerrier aux chemises immaculées même en temps de guerre, prit fait et cause pour les insurgés libyens et réussit à convaincre le président Sarkozy de les recevoir. Ainsi, le 10 mars 2011, trois représentants du CNT rencontrèrent le président français à l’Élysée : Ali Zeidan, Mahmoud Jibril et Ali Essaoui.
Ali Zeidan, diplomate en Inde sous Kadhafi, réapparaissait après un long exil en Allemagne après défection en 1980. En février 2011, il revint au-devant de la scène insurrectionnelle libyenne par le biais d’une obscure Ligue libyenne des droits de l’homme (LLDH) dont il était le porte-parole officiel. C’est lui qui annonça, dès le début du mois de mars 2011, que la répression gouvernementale de l’insurrection libyenne avaient fait « 6000 morts, dont 3000 dans la seule ville de Tripoli, 2000 à Benghazi et 1000 dans d’autres villes. Et elles pourraient être plus importantes encore ».
Il s’avéra quelques mois plus tard que cette annonce était un mensonge et que le nombre de décès ne dépassait pas les 300 selon la plupart des organisations internationales [2].
Le 14 mars 2011, vers 22h, Hillary Clinton sortit de l’ascenseur de l’hôtel Westin, à Paris. BHL, qui l’attendait de pied ferme, avait tout fait pour lui présenter la personne qui l’accompagnait : Mahmoud Jibril. Finalement l’entrevue tant espérée entre Clinton et Jibril allait avoir lieu. Christopher Stevens, le futur ambassadeur américain en Libye, était présent à la rencontre qui dura environ 45 minutes. Le dissident libyen y disserta de son rêve « d’un État civil démocratique où tous les Libyens sont égaux, d’un système politique participatif sans l’exclusion d’aucun Libyen, même les partisans de Kadhafi qui ne commettent pas des crimes contre le peuple libyen et comment la communauté internationale devrait protéger les civils d’un éventuel génocide […] ». Et, conseillé par BHL, Jibril a évidemment exhorté Clinton de soutenir la proposition d’une zone d’exclusion aérienne, d’armer les rebelles et de lancer des attaques sur l’armée de Kadhafi.
Mais, persuadé de n’avoir réalisé qu’une piètre prestation, il rejoint BHL après l’entrevue. Fulminant, il sortit par une porte dérobée pour éviter les journalistes qui voyageaient avec la secrétaire d’État [3].
Bien que cette rencontre fût la première entre Clinton et Jibril, ce dernier n’était pas un inconnu pour l’administration américaine. Après un premier cycle universitaire au Caire, il continua ses études à l’université de Pittsburgh (États-Unis) où il y obtint sa maîtrise (dont le titre de thèse est « La politique américaine envers la Libye 1969-1982 : le rôle de l’image ») puis son doctorat en sciences politiques. Il enseigna ensuite plusieurs années dans cette université avant de rejoindre le gouvernement Kadhafi pour mener des réformes économiques en dirigeant, de 2007 à 2010, le Bureau du développement économique national.
Le câble Wikileaks 09TRIPOLI386, daté du 11 mai 2009, lève un peu plus le voile sur les relations entre Jibril et l’administration américaine et tout semble montrer qu’il est dans ses bonnes grâces. En effet, Gene Cretz (l’ambassadeur américain à cette époque) y mentionne que « titulaire d’un doctorat en planification stratégique de l’Université de Pittsburgh, Jibril est un interlocuteur sérieux qui « comprend » la perspective américaine » et que « Jibril souhaite la bienvenue aux compagnies américaines, aux universités et aux hôpitaux ».
En citant l’université américaine et en mettant « comprend » entre guillemets, l’ambassadeur Cretz voulait probablement insinuer que « Jibril est quelqu’un qui a étudié chez nous : il est de notre côté ».
Cette « préparation du terrain » au développement du secteur privé libyen assistée par le gouvernement étasunien et utilisant des personnalités de premier rang a fait dire à certains que depuis 2007, Mahmoud Jibril et d’autres opposants à Kadhafi avaient « ouvert la voie à la conquête de l’OTAN » [4].
Le 15 mars 2015, soit le lendemain de la rencontre de l’hôtel Westin, le président Obama réunit son staff et des membres du Conseil de sécurité nationale, dans la salle de crise de la Maison-Blanche, pour discuter de la position à prendre dans le dossier libyen. On pouvait y voir, adossée à un mur, Samantha Power, adjointe spéciale au président et directrice des affaires multilatérales au Conseil de sécurité nationale (elle est actuellement ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU et membre du cabinet du président Obama) ; Robert Gates, Secrétaire à la défense ; Tom Donilon, président du Conseil de sécurité nationale ; Denis McDonough, conseiller à la sécurité nationale (actuellement chef de cabinet de la Maison Blanche). Hillary Clinton y participa à partir du Caire, Susan Rice de New York et Gene Cretz de Paris. À l’époque ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU, Rice occupe actuellement le poste de Donilon.
Toutes ces personnes formaient cependant deux camps distincts : les opposés à l’intervention américaine en Libye (dont Gates, Donilon et McDonough) et les fervents supporters d’une action musclée contre Kadhafi (dont Power, Cretz et Rice).
Clinton informa le président de sa rencontre avec Jibril et ajouta que la Ligue arabe soutiendrait l’idée d’une zone d’exclusion aérienne. Djibril s’était trompé : selon BHL, elle cacha bien sa réaction lors de la rencontre. « C’est elle qui, sans rien laisser paraître, sur l’instant, de ses sentiments privés, saura, dans les heures qui suivent, convaincre le Président de ne surtout pas suivre le non-interventionniste secrétaire à la Défense, Robert Gates », écrit-il [5]. Cretz, quant à lui, mentionna l’existence d’un rapport sur un hôpital libyen aux murs maculés de sang. Il ajouta que Kadhafi avait « abattu 1200 prisonniers pris en otage dans les années 90 » [6].
L’administration Obama ne s’est pas contentée de son personnel pour se faire une idée sur la position à prendre face à la problématique libyenne. Elle a utilisé les compétences d’« experts » néoconservateurs, véritables faucons de l’ère Bush fils, artisans du désastre irakien, tel Elliott Abrams [7] ou le cofondateur du think tank américain pro-israélien « Washington Institute for Near East Policy » (WINEP), Dennis Ross. Il est intéressant de noter que WINEP est une création de l’« American Israel Public Affairs Committee » (AIPAC), le lobby juif pro-israélien le plus puissant des États-Unis [8].
Dès sa première élection, Obama nomma Dennis Ross comme Conseiller Spécial pour le Golfe et l’Asie du Sud-ouest auprès de la Secrétaire d’État Hillary Clinton. Quelques mois plus tard, Ross quitta le Département d’État pour se joindre à l’équipe de la Maison Blanche chargée de la Sécurité Nationale et occuper le poste d’assistant spécial du président Obama et de directeur senior pour le Moyen-Orient, le Golfe Persique, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Asie du Sud. Ross, qui avait soutenu l’invasion de l’Irak, est surnommé l’avocat d’Israël car connu comme supporter inconditionnel de l’État hébreu. Membre influant de l’AIPAC, c’est probablement pour le remercier de son appui auprès de la communauté juive américaine lors de la campagne présidentielle de 2008 qu’Obama le nomma à ce poste [9]. Il va sans dire que Ross et Abrams sont allés grossir les rangs de l’équipe Power-Cretz- Rice.
Deux jours plus tard, soit le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1973 permettant l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne et de prendre toutes les mesures nécessaires « pour protéger les populations et les zones civiles menacées ».
Selon certaines sources, Mme Clinton avait travaillé très fort pour convaincre les états membres du Conseil de sécurité de ne pas utiliser leur droit de veto en appelant personnellement leurs représentants [10].
Malgré cela, la résolution fut adoptée avec cinq abstentions : celles de la Chine, de la Russie, de l’Allemagne, du Brésil et de l’Inde.
Un Américain proche de la famille Kadhafi rapporta que la nuit suivante (le 18 mars 2011), Seïf al-Islam Kadhafi, le fils du chef d’état libyen, a essayé d’organiser une conversation téléphonique avec Hillary Clinton qui refusa de lui parler. Elle demanda au contraire à Gene Cretz de le rappeler pour lui ordonner de retirer toutes ses troupes des villes et de quitter le pouvoir [11].
Le 19 mars 2011, l’intervention militaire débuta : l’armée américaine lança, ce jour-là, pas moins de 110 missiles de croisière Tomahawk pour atteindre des cibles de la défense aérienne libyenne à Tripoli, la capitale, et à Misrata, dans l’ouest du pays [12].
En quelques semaines, le pays a été pilonné et, le premier mai, une frappe aérienne tua le fils cadet de Kadhafi ainsi que trois de ses petits-fils. Cela relança le débat à savoir si la résolution 1973 faisait de Kadhafi et sa famille des cibles légitimes.
Mais cette expédition militaire de Clinton et de son équipe de va-t-en-guerre n’était pas du goût de tout le monde. C’est le cas de Dennis J. Kucinich, membre du Congrès américain, qui a admis avoir gardé des contacts avec Kadhafi et son entourage. Il craignait que Mme Clinton utilise l’émotion pour vendre une guerre non justifiée contre la Libye. Kucinich a reconnu avoir été contacté par des intermédiaires en Libye qui ont affirmé que Kadhafi était prêt à négocier une fin au conflit dans des conditions qui semblaient favoriser la politique de l’administration américaine.
Kucinich n’était pas le seul à émettre des réserves. Très sceptiques à l’égard du bellicisme clintonien, des hauts responsables du Pentagone ont aussi ouvert des canaux diplomatiques avec la Libye de Kadhafi.
Des enregistrements secrets de conversations authentifiés par leurs protagonistes ont été minutieusement analysés par des journalistes du Washington Times. Cette analyse montre que Mme Clinton a mené les États-Unis à une guerre inutile sans se soucier des recommandations de la communauté du renseignement [13]. Selon cet article, de nombreux responsables américains ont confirmé que c’était Mme Clinton et non le président Obama qui a poussé pour l’utilisation de la force militaire de l’OTAN pour se défaire de Kadhafi. Dans ses conversations privées, Obama informait les membres du Congrès que la Libye était « l’affaire de Clinton ». Ainsi, au lieu de s’appuyer sur le ministère de la Défense ou de la communauté du renseignement pour l’analyse, la Maison Blanche a fait confiance à Mme Clinton qui était soutenue par Susan Rice et Samantha Power.
Après la chute de Kadhafi, Christopher Stevens a été nommé ambassadeur en Libye, poste qu’il n’occupa qu’un peu plus de trois mois. Le 11 septembre 2011, il fut assassiné par des islamistes libyens, ceux-là même qu’il avait aidé à prendre les rênes de la Libye post-Kadhafi [14]. Ce qui a fit dire à la secrétaire d’État : « De nombreux Américains se demandent aujourd’hui, je me le suis demandé moi-même, comment cela a pu se produire. Comment cela a-t-il pu se produire dans un pays que nous avons aidé à libérer, dans une ville que nous avons aidée à échapper à la destruction ? » [15].
À la suite de ce dramatique événement, la « Citizens’ Commission on Benghazi » (CCB) a été créée. Cette commission citoyenne, dans laquelle siègent des officiers retraités de l’armée américaine ainsi que d’anciens responsables de la CIA, s’est donnée pour mission de « tenter de déterminer la véracité et l’exactitude de ce qui est arrivé à Benghazi, en Libye, le 11 Septembre 2012, en référence à l’attaque terroriste sur le complexe diplomatique américain qui a entraîné la mort de quatre Américains, y compris l’ambassadeur en Libye, Chris Stevens » [16].
Les travaux de cette commission ont été publiés le 22 avril 2014 dans un rapport intitulé « How America Switched Sides in the War on Terror » (Comment l’Amérique a changé de camp dans la guerre contre le terrorisme) [17].
Ce document rapporte les différentes discussions qui ont eu lieu entre des militaires américains de haut rang et les proches de Kadhafi.
Le 20 mars 2011, soit le lendemain du début des frappes américaines, le général Abdelkader Youssef Dibri, chef de la sécurité personnelle de Mouammar Kadhafi, transmit la proposition de Kadhafi pour établir une trêve afin d’amorcer des pourparlers directs avec le gouvernement des États-Unis. Le contre-amiral américain à la retraite Charles R. Kubic, qui œuvrait comme consultant d’affaires en Libye, en fut rapidement informé.
Dès le lendemain, soit le 21 mars 2011, Kubic entreprit de faire parvenir la proposition à AFRICOM-Stuttgart. Son contact, le lieutenant-colonel Brian Linvill, fit le nécessaire pour que l’information arrive le jour même au commandant de l’AFRICOM, le général Carter Ham qui a accepté de collaborer. Linvill avait préalablement discuté directement avec le général libyen Ahmed Mahmoud, un proche de Kadhafi. À son tour, le général Carter Ham communiqua avec beaucoup d’enthousiasme la proposition au Pentagone via la chaîne de commandement.
Selon Kubic, « les Libyens arrêteraient toutes les opérations de combat et retireraient toutes les forces militaires à la périphérie des villes ».
Le 22 mars, Kadhafi commença à retirer ses forces d’importantes villes tenues par les rebelles comme Benghazi et Misrata.
Mais après deux jours d’attente et de va-et-vient avec les Libyens, le général Ham n’avait reçu aucune confirmation quant à la suite à donner à l’offre de Kadhafi.
Le contre-amiral Kubic déclara que le général avait plutôt reçu des ordres de se retirer des négociations et que ces ordres émanaient du département d’État. Questionné par les journalistes du Washington Times, le général a refusé de commenter cette déclaration.
Et Kubic de se poser les « vraies » questions : « Si leur but était d’écarter Kadhafi du pouvoir, alors pourquoi ne pas essayer une trêve de 72h ? ». Pour enfin conclure : « ce n’était pas suffisant de l’écarter du pouvoir ; ils le voulaient mort ».
Kubic fit d’autres révélations : « [Kadhafi] revint et dit qu’il était prêt à partir pour permettre l’établissement d’un gouvernement de transition, mais il avait deux conditions. La première était de s’assurer, après son départ, qu’une force militaire reste pour chasser Al-Qaïda. Dans la seconde, il demandait un libre passage ainsi que la levée des sanctions contre lui, sa famille et ses fidèles. À ce moment-là tout le monde pensait que cela était raisonnable. Mais pas le Département d’Etat ».
La conclusion du rapport de la CCB est très éloquente. Elle mentionne que la guerre en Libye n’était pas nécessaire, qu’elle aurait pu être évitée si les États-Unis l’auraient permis et que l’administration américaine a facilité la fourniture d’armes et le soutien militaire à des rebelles liés à Al-Qaïda.
La guerre a alors continué comme si de rien n’était. Des dizaines de milliers de vies ont été inutilement sacrifiées sur l’autel d’une « démocratie » chimérique et un pays nommé Libye a périclité…
Capturé le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi a été sauvagement lynché et sodomisé par des rebelles hystériques. Allongé sur un sale matelas, son corps écorché et sans vie fut exposé comme un trophée de chasse à une foule de badauds friands d’images macabres.
« We came, we saw, he died ». Clinton a fini par avoir la peau de sa « proie ».
Et elle n’était pas la seule. Dans ce chapitre, l’histoire retiendra aussi les rôles des fervents promoteurs de l’intervention militaire contre la Libye, à savoir le président Nicolas Sarkozy, le sénateur John McCain et le « rossignol des charniers », Bernard-Henri Lévy.
Gloire aux vainqueurs : le 9 mars 2012, l’AFRICOM a été décoré du « Joint Meritorious Unit Award » pour son rôle dans la « printanisation » de la Libye [18].
Mais combien de sang libyen a coulé inutilement ?
La Syrie
La guerre civile qui secoue actuellement la Syrie a des curieuses similitudes avec la celle qui a prévalu en Libye : a) l’épicentre initial de la révolte syrienne n’était pas situé dans la capitale mais dans une région frontalière (contrairement à la Tunisie et l’Égypte) ; b) Un « nouvel ancien » drapeau est apparu comme étendard des insurgés; c) La phase non-violente de la révolte a été très courte; d) L’implication militaire étrangère (directe ou indirecte) a rapidement transformé les émeutes non-violentes en sanglante guerre civile.
Et, comme dans le cas de la Libye, cette « révolution » aurait pu rapidement finir avec l’image du président Bachar, le cœur dévoré par des djihadistes spécialistes de la question, puis exposé sur un matelas sordide. « Aidée » par la machine de guerre otanienne, la Syrie aurait rapidement connu le même sort que la Libye si ce n’était la leçon de « la résolution 1973 ».
En effet, de nombreux pays ont estimé que les États-Unis et leurs alliés ont détourné et abusé de cette résolution en permettant à l’OTAN d’outrepasser le mandat du Conseil de sécurité. En particulier la Russie et la Chine qui, à chaque fois que l’occasion se présente, opposent leurs vétos à toute résolution onusienne condamnant la Syrie ou son président, Bachar Al-Assad.
Reste une similitude de taille entre les deux conflits : la tragédie syrienne aurait pu, elle aussi, être évitée et ce, dès le mois de février 2012. C’est ce qui a été récemment révélé par l’ancien président de la Finlande (1994-2000) et prix Nobel de la Paix (2008), Martti Ahtisaari [19].
Le 22 février 2012, Martti Ahtisaari rencontra les représentants des cinq nations membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies pour le compte de « The Elders », une ONG qui regroupe des personnalités indépendantes agissant pour la paix et les droits de l’homme dans le monde. Ahtisaari, qui possède une grande expérience dans la résolution des conflits internationaux, se rappelle bien de sa rencontre avec une vieille connaissance : Vitali Tchourkine, le représentant russe.
Tchourkine lui proposa un plan de résolution du conflit syrien en trois points : 1) ne pas armer l’opposition ; 2) organiser un dialogue entre l’opposition et Bachar Al-Assad ; 3) permettre à Bachar Al-Assad de se retirer élégamment.
Pour Ahtisaari, il ne faisait aucun doute que cette proposition avait été formulée par le Kremlin. Il s’empressa donc de la présenter aux représentants américain, britannique et français. Mais aucune suite n’y fut donnée. Selon l’ex-président Finlandais, l’indifférence à la proposition russe était motivée par le fait, qu’à cette époque, tout ce beau monde pensait qu’il ne restait que quelques semaines à Bachar et, donc, il n’y avait aucun besoin de faire quoi que ce soit.
Sans doute encore sous l’euphorie de son « triomphe » contre Kadhafi, Hillary Clinton déclara, le 28 février 2012, que le président Bachar « répondait à la définition d’un criminel de guerre » [20]. À cette époque, le conflit avait causé la mort d’environ 7500 personnes. Aujourd’hui, ce nombre s’élève à 250 000 avec 8 millions de déplacés dans le pays et 4 millions de réfugiés dans les pays voisins [21].
Sans compter les milliers de migrants syriens qui ont fui le pays et qui sillonnent les routes européennes à la recherche d’un petit coin de monde exempt de violence, de sang et de haine.
Au sujet de ces migrants, Ahtisaari a un avis arrêté : « Nous aurions pu empêcher que cela n’arrive car il s’agit d’une catastrophe que nous avons créée nous-mêmes […]. Je ne vois pas d’autre option que de prendre soin de ces pauvres gens…Nous payons les factures de ce que nous avons nous-mêmes causé » [22].
Combien de vies auraient pu être sauvées, combien de malheurs auraient pu être évités, combien de peines auraient pu être épargnées si la recherche d’une solution avait placé l’Être humain au-dessus des intérêts bassement politiques ou des sentiments personnels des leaders politiques occidentaux ?
Les différentes péripéties de ces bouleversements tragiques qui ont touché les pays arabes et que les bien-pensants veulent vendre comme étant un « printemps » montrent à quels sommets s’est hissée l’hypocrisie des décideurs politiques occidentaux. Derrière leurs discours mielleux d’où suintent une morale fallacieuse et des formules creuses, se cachent des mains éclaboussées.
Éclaboussées par cet inutile flot de sang arabe qui ne finit plus de s’écouler de ce malheureux « printemps »…
Ahmed Bensaada | 03 Octobre 2015
Références
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Source: Ahmed Bensaada.com