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19 avril 2024

20 ans après « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne »


ENTRE LA PLUME ET L’ENCLUME

20 ans après « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne »

Publié le 25/10/2015

  • 20 ans après

Entretien sur le parcours de Roger Garaudy

La parution,  en septembre 1995,  des Mythes fondateurs de la politique israélienne par les éditions La Vieille Taupe fut l’occasion d’un véritable lynchage médiatique pour le philosophe Roger Garaudy. Personnage au parcours atypique, il restera l’une des premières victimes de la Pensée Unique des années 1990.

R/ Comment avez-vous été amenée à rencontrer Roger Garaudy ?

Maria Poumier/  Dans les années 1970, la réflexion de Roger Garaudy sur l’esthétique offrait un nouveau paradigme aux communistes qui, se battant pour la justice sociale, cherchaient un horizon de transcendance. Le « réalisme sans rivage » de Garaudy était la nouvelle mouture du divin dont nous avions besoin : espace de liberté, de confiance, de soumission à la beauté, naturelle ou fruit du travail des hommes. Et cette théologie diffuse mais incarnée embrassait toute l’histoire, elle équilibrait le côté strictement daté du marxisme. Avec l’esthétique garaudienne, nous les communistes retrouvions ainsi notre appartenance à la tradition, alors que le slogan « du passé faisons table rase », indispensable dans le feu de l’action révolutionnaire, était étouffant et stérilisant pour d’autres niveaux du combat en vue du dépassement des conditions données. L’art occidental se voulait conceptuel, hypercritique et spéculatif, et se gaussait de l’aspiration au reflet, à l’adoration du modèle ou à la ressemblance, se coupant du public et du peuple. Garaudy nous ramenait au réel, et exaltait l’art comme le sommet de la recherche, l’activité humaine la plus riche. Et bien entendu, il repoussait les limites de l’art officiel du monde communiste aussi. Je n’hésiterais pas à dire qu’il retrouvait le réalisme philosophique du Moyen Age, même si à l’époque, il ne faisait pas appel à la religion pour expliquer sa volonté de faire une philosophie de l’acte, et non de l’être, comme il disait. Le marxisme avait très judicieusement développé la dialectique, comme méthode d’analyse ; Garaudy y ajoutait toutes les résonances analogiques que l’esprit scientiste repoussait hors du champ de la vérité utile, redonnant son unité au monde.

Lorsque le parti communiste décide d’expulser Garaudy, il se retrouve comme amputé de son potentiel militant, et de ses références qu’il croyait destinées à convaincre à une échelle toujours plus large. C’est alors qu’il  se centre plus exclusivement sur la recherche religieuse, qu’il reprend son métier de philosophe toujours à la recherche d’un amont. En amont de la culture européenne, il approfondit les autres civilisations. Et il rencontre l’islam, ce qui cause un scandale de taille, un nouveau scandale, chez les communistes comme chez tous les intellectuels, parce qu’il trahissait l’eurocentrisme, tout en le révélant comme tel, alors qu’il allait de soi pour ses pairs. Etant enseignante en banlieue, me battant pour l’intégration des enfants de l’immigration, et constatant que le vide s’était fait autour de lui,  j’ai cherché à faire sa connaissance, en 1992. Je l’ai invité à faire une conférence à Mantes la Jolie, devant des mères de famille musulmanes (les militants de gauche mantais ne se sont pas déplacés, c’était une transgression), et l’accueil a été enthousiaste, la grande salle de l’Agora était pleine. On avait besoin de sa vision souple d’un  l’islam compatible avec la modernité. A chaque étape de sa vie, il aura été un pionnier, dans l’instauration de nouveaux paradigmes. Je l’ai ensuite invité à l’université de Paris VIII, avec l’accord de la présidente Irène Sokologorsky, et là, le rejet de la gauche a été France, massif, explicite, sous la pression des personnels juifs et des organisations communautaires.

R/ Son parcours politique débute au Parti Communiste Français, il en deviendra un des intellectuels les plus importants des années 1960. Quel jugement portera-t -il sur son passage au PCF après sa rupture ?

Roger Garaudy n’a jamais renié le parti communiste ni le marxisme. Le traumatisme de son exclusion a été le pire de sa vie, il voulait se donner la mort, il l’a dit. Le parti, c’était sa famille, son quotidien et son horizon. Victime d’une purge après bien d’autres dirigeants, il aurait été bien accueilli en tant que renégat ; mais, tel un vaincu qui se retrouve en prison, il a refusé de faire le jeu de ceux qui en l’excluant, voulaient le punir d’avoir été plus audacieux et plus généreux qu’eux, et qui auraient été ravis de le voir valider a posteriori son exclusion. Il a refusé de parler et d’incriminer qui que ce soit. Cette hauteur de vues l’honore, et elle est devenue rare, cette façon de refuser de donner libre cours à la rancune et la revanche. On l’avait  classé dans les meneurs d’un eurocommunisme s’éloignant radicalement du stalinisme. Mais il est resté admirateur de la stratégie stalinienne, du chef militaire et du protecteur des peuples qu’a été Staline, et que le monde occidental ferait bien de redécouvrir maintenant, alors que nous n’avons plus aucun dirigeant d’envergure, ni capable de nous arracher à  la logique cannibale du capitalisme financier.

R/ De sa conversion au catholicisme à son rapprochement avec l’Islam, existe-t-il une unité dans son parcours intellectuel et spirituel ?

Garaudy avait un appétit spirituel sans limite, et il adorait le rôle de découvreur. Il ne pouvait pas se contenter du catholicisme, qui lui apparaissait comme provincial, à l’échelle du monde en pleine décolonisation. L’Eglise avait été le modèle pyramidal des partis communistes, mais avait aussi été instrumentalisée pour justifier les conquêtes coloniales et ses abus ; il cherchait un autre paradigme universel moins susceptible de se figer en dogmatisme, et moins identifié à la blanchitude arrogante. Mais il n’est pas allé de conversion en conversion ; sa démarche est de riposte aux urgences successives de son temps. Lorsque le communisme était férocement athée, il a fait tout son possible pour rétablir les ponts avec les catholiques. Puis, alors que l’Europe méprisait les musulmans, il a voulu expliquer et rajeunir l’islam, qu’il considérait en décadence depuis le XIV° siècle, en faire un moteur spirituel capable de désengourdir tous les peuples.

R/ Pouvez-vous revenir sur l’origine de l’affaire de la publication des Mythes Fondateurs de la Politique Israélienne ? Pourquoi avoir choisi les éditions de la Vieille Taupe  à l’époque ?

Garaudy a proposé son livre Les Mythes fondateurs de la politique israélienne à ses éditeurs habituels, et à bien d’autres encore. Il espérait avoir une audience dépassant celle de La Vieille Taupe, confidentielle, celle d’un éditeur qui s’était spécialisé dans la critique de l’historiographie officielle au sujet des juifs. Mais seul Pierre Guillaume l’intrépide a eu le courage d’accepter de le publier. De fait, le livre a eu une énorme diffusion, grâce à ce délicieux parfum d’interdit que lui ont conféré le Crif, la Licra, etc.

R/ Quelle était la position de Roger Gauraudy sur la question du révisionnisme ?

Garaudy n’avait aucune envie d’entrer en révisionnisme, si on peut dire, de centrer toute sa réflexion sur les manipulations de la mémoire par les dirigeants israéliens. Il aurait certainement soutenu la démarche de Vladimir Poutine, qui contribue à partir de l’horizon russe à pulvériser la lecture holocausticocentrée de l’histoire contemporaine. Il reprenait d’ailleurs le point de vue de Césaire, pour qui ce qui scandalisait les Occidentaux, c’était qu’Hitler ait pu traiter une population blanche comme eux-mêmes avaient traité les Africains et autres « peuples inférieurs » pendant des siècles. Et la convergence des comparaisons  de tout bord a complété le travail des historiens spécialisés dans le sujet. Le terme révisionniste d’ailleurs a peut-être fait du tort à la recherche parfaitement rigoureuse de Robert Faurisson et d’autres historiens, parce que très marqué comme outil de propagande de droite, utilisé contre leurs franges réformistes tant par les communistes russes que chinois, dans les années 1930 à 1980. Comme tous ceux qui ont un peu travaillé la question, Garaudy savait bien que tôt ou tard les affabulations disproportionnées seraient remises à leur place par les historiens. Mais c’est comme pour l’histoire de l’Inquisition espagnole, fantastique outil manié par les juifs et les franc-maçons pour accabler l’Eglise, depuis des siècles, alors que les spécialistes savent parfaitement que c’était un tribunal prudent qui a fait bien moins de victimes qu’on ne l’imagine. La shoah, c’est la clôture électrique  qui sert à éloigner les troupeaux occidentaux d’un champ de réflexion qui pourrait leur faire entrevoir la liberté, a dit Horst Mahler, je crois. Garaudy l’a traitée comme ce qu’elle est, une arme de propagande puissante, qu’il fallait dénoncer comme telle, pour la rendre inoffensive, sans plus s’y attarder.

R/ Au-delà du révisionnisme, le thème principal des Mythes reste le refus du Nouvel Ordre Mondial en pleine expansion dans les années 1990. En quoi sa démarche est-telle alors une affirmation d’un

anti-impérialisme radical ?

Le nouveau désordre mondial reste occidental et reste l’expression d’une lutte des classes dans chaque pays, et entre un bloc de pays aspirant à l’hégémonie face à tous les autres. Garaudy n’a jamais cessé de considérer qu’il fallait mener dans chaque pays une lutte de libération nationale, contre les oligarchies locales à la solde de puissances étrangères, et contre les US, la nouvelle métropole à prétention mondiale. Son anti-impérialisme n’était pas démagogique, il refusait qu’on l’utilise pour occulter ou nier les erreurs ou les crimes de tel ou tel gouvernement. Excellent orateur, il était aussi un redoutable négociateur politique, il savait ne pas confondre les niveaux des combats à mener, et établir les passerelles indispensables pour avancer sur tel ou tel plan. Voilà pourquoi il cultivait ses liens avec certains penseurs jusqu’à l’extrême-droite, qui s’en ouvraient d’autant à ses propres analyses.

R/ Roger Garaudy fut envoyé devant les tribunaux et condamné pour son livre. Quels souvenirs gardez-vous de ce procès sans précédents. Vous rappelez-vous l’ambiance des débats et des affrontements en marge ?

Je vous recommande le témoignage de Ginette Skandrani à ce sujet, elle raconte en détail la ratonnade de certains excités juifs en plein palais de justice, dans Ma Palestine le cœur du monde, ouvrage à télécharger gratuitement ici : http://plumenclume.org/home/22-ma-palestine-le-coeur-du-monde.html. Garaudy s’est battu comme un lion, à l’audience, en 1998, c’était très impressionnant, et je me rappelle un moment extraordinaire, quand il a dit, en colère contre ses adversaires hypocrites : « je n’aurais jamais l’idée de faire du fric avec les ossements de mon grand-père » ; la trouvaille a fait rire tout le monde, y compris la partie civile ! Le président Nicolas Bonnal a beaucoup appris, à l’occasion de ce procès…

R/ L’Abbé Pierre fut cité comme témoin dans l’affaire. Garaudy semble avoir placé beaucoup (trop)  de confiance dans le témoignage de l’abbé pour vous ?

Pour Garaudy, ce procès n’était qu’un épisode dans sa vie de militant, il ne se faisait pas trop d’illusions sur le fonctionnement des tribunaux. Il a essayé de bâtir un front d’honnêtes gens courageux, pour attirer l’attention de l’opinion publique. Ce sont les médiats qui ont d’abord monté en épingle le soutien et l’antisionisme de l’abbé Pierre, pour l’accuser d’antisémitisme et répandre la peur d’une contagion. Mais l’abbé Pierre, âgé et qui en avait vu d’autres, travaillait comme Garaudy, plutôt sur le moyen terme. Personne, dans l’Eglise, n’a été dupe, l’Eglise a ses propres archives sur la période que Pie XII a eue à gérer, on ne lui raconte pas d’histoires aussi facilement ; et la vérité s’est frayée un chemin, souterrain certes, à ce moment, mais bien réel. Le pape François, comme ses prédécesseurs, est détesté par les élites sionistes, qui savent bien à quoi s’en tenir. En ce moment, les médiats tentent de miner sa popularité mondiale en l’ignorant, parce que son discours est de plus en plus centré sur la condamnation de l’oligarchie occidentale. On avait essayé de chasser l’abbé Pierre par la porte grande ouverte de la diffamation, son esprit souriant revient par la fenêtre, et c’est très bien. Je n’ignore pas que l’extrême droite antisioniste aussi préférerait aussi un autre pape. Mais c’est bien d’un franciscain proche de la misère comme l’abbé Pierre, doublé d’un jésuite habile et batailleur, que le monde a besoin, au poste de successeur de saint Pierre, pas d’un représentant de ci-devant amers.

R/ L’affaire eu un écho particulier dans le monde arabe. Marque-t-il une étape dans la prise de conscience des musulmans sur l’importance de l’impérialisme américano-israélien ?

L’œuvre entière d’un converti aussi prestigieux que Garaudy a eu un énorme impact, d’autant plus qu’il avait renoncé, dans le cas des Mythes,  à tout droit d’auteur y compris sur les traductions. Mais d’un autre côté, les musulmans comme bien d’autres ont relativisé ce qui pour le public occidental relevait du scandale, de la négation du réel ou « négationnisme », comme on disait dans les années 1990 : « les juifs ont toujours menti, rien d’étonnant à ce qu’ils aient truqué aussi ce chapitre de leur histoire », disaient-ils. Ils n’ont pas attendu le livre de Garaudy pour rejeter l’implant israélien en Palestine, et l’impérialisme. C’est Nasser, l’iman Khomeiny et Kadhafi qui, par leur résistance, ont révélé la conjonction criminelle entre les deux phénomènes.

R/ Profondément marqué par le procès, Roger Garaudy fut-il la première victime de la Pensée Unique ?

Robert Faurisson appelle la loi Fabius-Gayssot « Lex Faurissonia ». Mais effectivement, c’est Garaudy qui en a révélé au grand public l’absurdité et le viol du droit qu’elle constitue toujours, vingt-cinq ans après sa promulgation forcée ; le procès des Mythes a été bien plus relayé par les médiats que les procès d’autres historiens ou relais d’historiens authentiques. Je récuse l’expression de pensée unique : c’est une non-pensée, c’est juste la manifestation d’une peur aveugle qui prétend éradiquer la pensée. Garaudy a quand même été étonné de l’ampleur de l’incompréhension. Mais il n’était pas imbu de lui-même, il faisait confiance à d’autres combattants pour faire avancer la cause de la vérité qui rend libre, éventuellement par des chemins bien différents.

R/ Quelle est votre opinion sur l’état de la liberté d’expression en France après l’affaire Dieudonné ?

Notre soumission à l’Otan contraint nos gouverneurs à réprimer le peuple dans chaque domaine où ils ne parviennent pas à l’acheter. Dieudonné a fait un travail magnifique, un travail pédagogique, en particulier en direction des 14-20 ans, saturés à l’école d’une propagande officielle qu’ils détestent, et qui n’apporte aucune réponse à leurs interrogations vitales, en particulier sur notre rapport au passé. Quand ils découvrent, grâce à l’aiguillon prodigieux du théâtre de Dieudonné, ce que j’aimerais appeler le clairvisionnisme, c’est la vraie révélation qui leur ouvre les portes de la perception : brusquement ils comprennent tout, du monde frelaté dont ils héritent ! Si les peines de prison se multiplient maintenant, l’effet sera double : restriction pour tous de l’usage public de nos méninges, mais aussi affinement des méthodes de résistance, et radicalisation de la réflexion, ce qui est très salutaire. L’internet a bien changé, depuis vingt ans, il faut des géants pour éviter qu’il ne soit plus qu’un outil d’intoxication parmi d’autres. Il nous faut des penseurs des nouvelles  technologies pour l’esprit critique à l’échelle globale, et il faut revenir à l’action sur le terrain local ; nous nous sommes bercés de l’illusion d’une liberté d’expression à élargir sans limites, et nous sommes adonnés aux facebook et autres forums avec délices. Mais ce n’est plus suffisant !

 RIVAROL – N°3201 – 10 SEPTEMBRE 2015  et rogergaraudy.blogspot.com

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