De Vienne à…Vienne ! & de l’«Isolement» (sic) de la Russie & quelques autres âneries puisées au même tonneau

11 novembre, 2015

| guerre de syrie | questions à jacques borde |

IL Y A LA GUERRE SUR LE TERRAIN. ET PUIS, IL Y A LA GUERRE DES MOTS. CELLES OU LES RELAIS DU NAZISLAMISME, ARROSES DE PETRODOLLARS GOLFIQUES, SONT, ASSUREMENT, LES PLUS ASSIDUS. EVIDEMMENT, DERRIERE CETTE GUERRE DES MOTS, CELLE DES HOMMES CONTINUE DE PLUS BELLE…

Q : Sinon que sait-on de prochain sommet de Vienne sur la Syrie ?

Jacques Borde : Aie ! Il semble que l’ambiance y sera moins consensuelle que lors du précédent épisode…

Q : Pourquoi donc ?

Jacques Borde : Théoriquement, on doit y coucher la liste des des groupes terroristes à l’œuvre en Syrie. Comme personne n’est d’accord sur le sujet…

Q : Chacun à la sienne, c’est ce que suggérez ?

Jacques Borde : Oui et non. Ce que je veux dire est que le sujet a toujours été complexe. Ça n’est pas propre au Levant, notez bien ! Chez nos amis américains, le flou est tout aussi artistique. Songez que la définition même du terrorisme varie selon qu’on lise la version du FBI, du Pentagone ou du US Department of State.

Alors à Vienne…

Q : Pourquoi aborder un sujet aussi sensible ?

Jacques Borde : Il faudra bien en passer par là, tôt ou tard, non ? À propos, ce sont les Iraniens qui ont vendu la mèche.

Q : Commentcela ?

Jacques Borde : C’est le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, qui a affirmé qu’il y aura « …deux points importants à l’ordre du jour de la prochaine réunion de Vienne, tout d’abord déterminer qui sont les groupes terroristes, ce qui est clair pour nous. Ensuite, se mettre d’accord sur la manière de poursuivre le travail ».

Autre sujet important, pour Téhéran – qui a quelques connaissances pratiques des questions de blocus, c’est le moins qu’on puisse dire – : empêcher les nazislamistes de vendre du pétrole et d’avoir accès à des sources financières. Celui là, aussi va braquer quelques-un des participants.

« En fin de compte, on doit répondre à cette question: comment les groupes terroristes, notamment (l’organisation de) l’État islamique, vendent du pétrole ? Qui achète ce pétrole ? Par quelles banques transitent leurs revenus pétroliers et quelles sont les banques qui gardent cet argent pour ces groupes ? » s’est interrogé Zarif, qui a, aussi critiqué « certains pays de la région et hors de la région qui n’ont pas encore compris le danger de l’État islamique et de l’extrémisme et pensent pouvoir utiliser ces groupes comme un levier ».

Ça promet !…

Q : Cette approche ne risque-t-elle pas de gripper la machine ?

Jacques Borde : C’est toujours le risque en pareil cas. Mais, posons-nous la question : pouvons-nous nous passer des Iraniens pour résoudre l’affaire syrienne ?

À ce sujet, je vous citerai les propos d’Ali Vaez, analyste à l‘International Crisis Group (ICG) et spécialiste de l’Iran, cité par notre consœur Samia Medawar : « Je pense également que la raison pour laquelle les rencontres précédentes, comme celles de Genève, ont échoué, c’est justement parce qu’elles n’étaient pas élargies à tous les acteurs du conflit syrien. Les pourparlers de Vienne ont donc des chances bien plus élevées d’aboutir »1.

Alors qui est isolé ? Et de qui ?

Q : Sur le terrain, qu’en est-il des opérations menées par Moscou ?

Jacques Borde : Elle suivent leur cours naturel, dirai-je.

Une première vraie percée a eu lieu, hier 10 novembre 2015 : Al-Jaysh al-’Arabī as-Sūrī (AAS)2, a brisé le siège nazislamite de l’aéroport militaire de Kwayrès, à l’est de la province d’Alep. Une information confirmée aussi bien par un photographe de l’AFP sur place, que par la télévision d’État.

« L’armée arabe syrienne fait la jonction avec les forces défendant la base aérienne (à) l’aéroport de Kwayrès » a indiqué de son côté la télévision publique syrienne dans un bandeau.

Contrairement au propaganda staffel mené contre elle, la Russie n’a épargné personne. De fait, ses appareils ont effectué des frappes dans 10 des 14 provinces du pays, dont celles qui sont des fiefs avérés d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (Daech), comme Raqqa et Deir Ez-Zor. Mais, il est vrai que la l’essentiel des frappes ont ciblé les provinces de Hama (centre), Idleb (nord-ouest), Alep (nord), Homs (centre) et Lattaquié (ouest), qui sont, pour Damas, le cœur de son pays réel. Là, où les forces gouvernementales combattaient des milices pro-séoudiennes leur causant le plus de problèmes.

Le fait que Moscou réussisse, ou pas, à atteindre ses objectifs étant un tout autre problème !

Rappelons aussi à nos donneurs de leçons que, alors que les membres de l’acoalition assistaient au drame de Palmyre les bras croisés, seule l’AAS a tenté de les en déloger. In fine, ce sont bien les Russes, et eux seuls, auront mené des frappes sévères contre ces positions tombées aux mains de Daech.

Qui plus est, à partir de la semaine dernière, les Russes ont élargi leur champ d’action. Leurs appareils ont bombardé la province méridionale de Deraa. Les seules provinces à peu près épargnées par les raids russes sont Tartous (ouest) et Soueida (sud) tenues par l’AAS, Hassaké (nord-est) dont le contrôle est partagé entre les forces kurdes et les forces de Damas, et Quneitra, sur le Plateau du Golan, à la lisière de la ligne de cessez-le-feu avec Israël. Très certainement en raison de l’accord non-écrit conclu avec Jérusalem.

Q : Avec quels moyens, plus précisément ?

Jacques Borde : Soyons précis : la Russie possède (depuis 1971) une base logistique à Tartous – qui n’a pas, c’est à noter, le statut de base navale dans la nomenclature russe –. Ses moyens actuels sont une force de projection limitée et principalement aérienne, qui agit, surtout, à partir de l’aéroport militaire de Lattaquié. Ces deux points d’appui, Lattaquié et Tartous sont protégés par des parachutistes et commandos de marine (russes), qui n’interviennent pas sur le théâtre des opérations. À ce jour, le seul mort russe serait la victime d’un accident.

Les communiqués du ministère de la Défense russe font explicitement référence à ces moyens aériens et aux raids menés par ses avions de combats Su-24 Fencer, Su-25 Frogfooot et Su-34 Fullback. Les hélicoptères Mi-8AMTSh et Mi-24S Hind sont rarement cités mais leurs sorties auraient beaucoup impressionné l’ennemi. Ajoutez à cela le SSV-201 Priazovye (bâtiment de classe Vishnya3) qui a été déployé en Méditerranée, près de la côte syrienne.

Q : Et ces frappes sont efficaces ?

Jacques Borde : Elles causent d’énormes dégâts, humains et matériels. Le groupe (dit) modéré Souqour al-Jabal4 s’est plaint, début octobre 2015, que les Russes, méchants garçons, avaient ciblé son dépôt d’armes dans la province d’Alep. Normal : ce groupe, bien que choyé par certains, est bien une organisation terroriste !

De toute manière, ces frappes cadrent pleinement avec la pensée géostratégique russe sur l’avenir du Levant.

Q : Vous pouvez préciser ?

Jacques Borde : Oui. Je vais vous citer ce qu’en a dit un militaire français de haut rang, puis qu’il s’agit de l’ancien patron de l’Alat5, le général (2S) Jean-Claude Allard6, qui « pense que Poutine veut certes protéger Assad, les mers chaudes et son influence au Moyen-Orient ; mais il veut surtout donner un coup d’arrêt à l’islamisme qui mite le sud de la Russie, avant que la chute de Damas ne renforce le calife Al-Baghdadi et permette à tous les groupes islamistes de rejoindre l’État islamique ». Car, souligne Allard, « si les islamistes conquièrent Damas, il y aura une onde de choc mondiale. Damas serait, militairement parlant, impossible à reprendre car il faudrait y aller par des combats terrestres. Or il y a 4 millions d’habitants au sein desquels se fondraient des islamistes… ».

Q: Et tout ça a changé quelque chose sur le terrain ?

Jacques Borde : Oui, bien sûr.

Primo, les terroristes morts le sont et ne sont pas près de revenir. Or, rien qu’en prenant les chiffres (biaisés) répercutés par le think tank pro-britannique OSDH7 , viscéralement hostile à Damas et à la présence russe en Syrie, selon un décompte effectué jusqu’à jeudi dernier, « 279 rebelles modérés et islamistes alliés au Front al-Nosra, branche syrienne d’Al-Qaïda, ont été tués ainsi que 131 djihâdistes du groupe État Islamique »8.

Secundo, et c’est sans doute, le plus important, l’arrivée des Russes a redonné le moral à une Al-Jaysh al-’Arabī as-Sūrī qui cédait du terrain face aux rebelles.

Selon l’agence de presse Fars, les forces syriennes ont réussi à « nettoyer, de la présence des terroristes, la route d’Al-Chadada al-Qadim vers la ville de Hassaké, les villages de Tel Serin, et Rajam Al-Siran, dans la banlieue méridionale de cette province. D’intenses combats sont en cours au sud de la province de Hassaké »9.

D’autre part, des éléments kurdes, associés à des « Assyriens et les Yezidi ont progressé dans la banlieue-est de la province de Hassaké et sont en train de se préparer pour nettoyer le village d’Al-Holoul qui se trouve dans une zone stratégique importante. Après le nettoyage de ce village, la ligne de secours de Daech vers la région d’Al-Chadadi, sera complètement coupée »10.

Pour la suite, seul l’avenir nous dira si la stratégie russe était adaptée. Mais, crier haro sur le baudet moscovite, comme le font certains commentateurs n’a aucun sens.

Q : Pensez-vous que sur ce dossier, la Russie est plus ou moins isolée depuis son intervention en Syrie ?

Jacques Borde : L’isolement de la Russie est un mythe. Non pas un mythe urbain, comme certains, mais davantage un mythe germanopratin. En fait, de plus en plus de voix, soutiennent les Russes. Y compris dans les media…

Q : Des noms, des noms ?

Jacques Borde : Tenez : Giampaolo Rossi, d’Il Giornale. Pour lui, « La réalité est telle que Moscou mène seul la guerre contre le terrorisme islamiste. Aussi, l’Europe ne doit-elle pas hésiter et se rallier à la Russie sans aucun  »si » ni  »mais+ » ».

« La Syrie est en effet depuis l’époque soviétique un allié historique de Moscou au Proche-Orient, et quand la guerre civile en Syrie a dégénéré en conflit international avec l’ingérence directe des États-Unis, de la Turquie et de l’Arabie Séoudite, il est normal que Moscou ait pris le parti de son allié dirigé par un gouvernement légitime », a rajouté notre confrère italien.

Quant à ce que nous devrions faire en tant qu’Européens, pas d’état d’âme pour Rossi, au lieu de « rester timide face au fondamentalisme islamique », l’Europe doit s’aligner sur la Russie dans la lutte contre Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (Daech).

Q : Mais que pèse Il Giornale dans le débat sur la Syrie ?

Jacques Borde : Alors écoutez ce que dit de la situation actuelle, James Philip Jamie Rubin11, qui fut Assistant Secretary of State for Public Affairs, et porte-parole du US State Department12. Repris par la presse londonienne notamment, Rubin a souligné qu’« il n’était pas trop tard pour s’engager dans la lutte contre ISIS13 avant que la situation ne dégénère en guerre mondiale »14, surtout si l’on considérait le crash de l’Airbus russe A321 comme un acte terroriste15.

Rubin de rappeler « qu’après les attentats du 11 septembre 2011, le président russe (Vladimir Poutine) avait été le premier des leaders mondiaux à donner un coup de pouce aux États-Unis »16. Poutine avait ordonné aux SR russes de partager leurs informations relatives aux attentats avec la NSA et a permis au Pentagone de se servir de plusieurs bases militaires en Asie Centrale.

Actuellement, a amèrement souligné Rubin « Il me semble que ni les États-Unis, ni l’Europe n’ont de projet cohérent pour lutter contre ISIS. L’Occident a d’abord prôné le départ du président syrien Bachar el-Assad ainsi que la mise en place d’un État démocratique, mais par la suite, il s’est rendu compte que tous les adversaires politiques d’Assad n’étaient pas démocrates. Certains d’entre eux sont affilés à ISIS ou adhèrent au moins aux dogmes politiques des djihâdistes »17.

Aucun démocrate face à Assad ! Que disons-nous d’autre que Mr. Rubin depuis le début de cette crise ?

Notes