Jeudi 29 octobre dans la soirée, les forces israéliennes ont pris d’assaut le camp de réfugiés d’Aida, à Bethléem, au sud de la Cisjordanie occupée. Des jeeps ont envahi le camp par toutes ses entrées en tirant à l’aveugle des volées de gaz lacrymogènes, a raconté à Mondoweiss Akkram Hueesni, un jeune homme du camp. Les familles se sont précipitées pour fermer les fenêtres, bouchant avec des chiffons le moindre orifice qui aurait pu permettre au gaz nocif de s’infiltrer à l’intérieur, un exercice qui se pratique couramment dans les maisons de Cisjordanie occupée.

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Un jeune Palestinien renvoie une grenade lacrymogène aux forces israéliennes. La pratique est difficile et dangereuse. (Photo: Abed al Qaisi)

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Aida est connu pour être très politisé, et généralement les forces israéliennes se concentrent sur les manifestants, mais jeudi, les soldats ont semblé les ignorer pour s’attaquer plutôt à toute la communauté, tirant de grandes quantités de grenades lacrymogènes, a dit Hueesni.
« Le camp tout entier était envahi par le gaz, » se souvient-il. « Il a fallu que des gens portant des masques à gaz aillent chercher ceux qui étaient coincés dans les nuages blancs. »

Au milieu de l’attaque, l’armée israélienne et la police des frontières – dans un geste qui a surpris – ont envoyé un message aux habitants, par haut-parleur. Un jeune homme a capté le message dans son intégralité :

« Habitants d’Aida, nous sommes les forces d’occupation israéliennes, » dit en arabe la voix de l’officier de la police des frontières.

« Si vous jetez des pierres, nous allons vous asphyxier avec des gaz jusqu’à ce que vous mouriez tous. Les enfants, les jeunes, et les vieux, tous – vous allez tous mourir. »

« Vous mourrez tous, » continue l’officier. « Nous ne laisserons vivant aucun d’entre vous. Nous avons arrêté l’un d’entre vous, il est maintenant avec nous, nous l’avons pris chez lui et nous allons l’abattre et le tuer sous vos yeux, si vous continuez de jeter des pierres. Rentrez chez vous ou nous vous gazerons jusqu’à ce que vous mouriez, vos familles, vos enfants, tous. Nous vous tuerons, » continue le message.

L’officier de la police des frontières qui a envoyé le message aurait été suspendu de ses fonctions, ont rapporté les médias israéliens. Alors que le message enregistré est choquant pour de nombreuses raisons, il souligne au moins une vérité importante, les gaz lacrymogènes tuent.

Le lendemain, la menace est devenue réalité avec la mort d’un bébé de 8 mois, Ramadan Thawabta, asphyxié par l’inhalation des gaz lacrymogènes pendant des affrontements dans le village de Beit Fajjar, juste au sud de Bethléem.

Le 21 octobre, à Hébron, un militant pour la paix de 54 ans, Hashem al-Azzeh, qui souffrait d’une maladie cardiaque, est mort de l’inhalation de gaz. Les médecins ont confirmé que ce sont les gaz lacrymogènes, et non sa maladie cardiaque, qui l’ont tué.

[Le 19 octobre, Huda Muhammad Darwish, 65 ans, mourait dans l’ambulance qui l’emmenait en urgence à l’hôpital, victime des gaz lacrymogènes après une attaque des forces d’occupation dans son village d’Issawiyeh, note ISM-France]

Une arme chimique « non létale »

Le gaz lacrymogène est censé être une arme chimique non létale, largement utilisée par les forces israéliennes en Cisjordanie occupée et dans d’autres parties du territoire palestinien. Le gaz appartient à un groupe d’agents chimiques référencé comme « agents lacrymogènes », du latin « lacrima », qui signifie « larme ».

Le nom est cependant trompeur pour deux raisons. D’abord, le gaz lacrymogène n’est pas du tout un gaz, mais plutôt un produit chimique solide transformé en aérosol qui reste en suspens dans l’air lorsqu’il est propulsé. Le gaz se dépose sur les surfaces, y compris les vêtements, et peut être réactivé si la surface sur laquelle il s’est déposé entre en contact avec la peau plusieurs jours plus tard. Ensuite, le gaz lacrymogène affecte beaucoup plus que les yeux seuls, puisque la peau et les voies respiratoires sont également sensibles au produit chimique.

Lorsqu’ils sont exposés à des gaz lacrymogènes, les yeux sont les premiers à être affectés, car le gaz donne une sensation de brûlure, les yeux se ferment et pleurent. Se toucher les yeux ou mettre de l’eau sur la zone affectée ne fait qu’empirer les choses. Le second effet est sur le système respiratoire, car le gaz donne à la victime l’impression que sa poitrine se comprime et qu’il devient difficile, sinon impossible, de respirer.

Le gaz lacrymogène brûle et enflamme toutes les parties de la peau qui sont sensibles ou humides comme le visage, le cou et l’intérieur des bras. Une forte exposition peut parfois provoquer des brûlures ou des cloques, et la sueur ou l’eau peuvent activer le gaz sur la peau plusieurs heures après l’exposition.

En cas de surexposition, en particulier pour les enfants, les personnes âgées et les personnes ayant des problèmes respiratoires comme l’asthme, le gaz « non létal » peut être mortel.

Les moyens de défense des Palestiniens

En vertu de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, qui a été adoptée par la Conférence sur le désarmement à Genève en 1992, l’usage du gaz lacrymogène est interdit en temps de guerre. Selon les Nations Unies, 98 pour cent de la population mondiale a signé l’accord, dont Israël.

On ne sait pas si les produits chimiques contenus par les gaz lacrymogènes actuels provoquent des effets à long terme, car il y a très peu d’études sur le sujet.

Indépendamment de son illégalité supposée et de ses effets secondaires inconnus, on aurait bien du mal à trouver, en territoire palestinien occupé, un foyer qui ne sait pas comment combattre les symptômes du gaz lacrymogène étant donné la fréquence et la densité de son usage par les forces israéliennes sur les Palestiniens. Dans tout le territoire palestinien occupé, dans les villes et les camps de réfugiés où les affrontements sont devenus une réalité quotidienne, les Palestiniens luttent contre l’arme chimique.

Dans le camp de réfugiés d’Aida, trois adolescents sont allongés sur le sol d’une maison. Tandis qu’une femme tient un ventilateur au-dessus des jeunes gens, la mère de famille saisit un oignon prêt sur la table et en fait respirer des morceaux aux trois ados.

Les habitants utilisent les oignons, le parfum, le vinaigre et l’alcool dénaturé pour combattre les symptômes, mais on connaît peu les raisons pour lesquelles ces méthodes semblent procurer un soulagement.

[L’inhalation des gaz compriment les poumons, ce qui provoque une sensation d’étouffement et un blocage de la respiration angoissants et dangereux. En sentant des odeurs fortes, le cerveau reçoit le message que respirer est possible et la victime peut reprendre, petit à petit, une respiration normale. NdT, qui l’a expérimenté il y a peu…]

Quand un jeune semble gravement touché, on appelle un médecin qui se trouve dans la rue. Le médecin, un bénévole qui a passé pratiquement toutes ses soirées depuis le début d’octobre à aider les blessés pendant les clashes quotidiens, vient rapidement à l’aide de la victime.

Le médecin commence à taper légèrement sur la poitrine du jeune, et lui demande d’essayer de parler. Un autre médecin entre dans la pièce, prend un tampon d’alcool avec lequel il enlève les produits chimiques du visage du jeune. Finalement celui-ci se remet à respirer. Il reste étendu sur le sol, le visage rouge, épuisé jusqu’à dissipation complète des effets des agents chimiques.

Une scène similaire se répète quotidiennement dans tout le territoire palestinien occupé.

Selon l’agence de presse Ma’an, le Croissant Rouge a rapporté que 5.399 Palestiniens ont été traité pour l’inhalation des gaz lacrymogènes pendant le mois d’octobre – en moyenne 174 personnes par jour.

En plus des blessures provoquées par le gaz, les manifestants sont blessés par les grenades elles-mêmes étant donné la force du tube de métal qui fend l’air, ainsi que sa chaleur. Une grenade seule peut couper la peau, briser les fenêtres et mettre le feu aux champs et aux arbres – toutes choses qui sont depuis longtemps la réalité quotidienne des Palestiniens.

Sheren Khalel | 3 novembre 2015

Mondoweiss : Traduction : MR

Source: http://www.ism-france.org/temoignages/Les-armes-chimiques-non-letales-qui-tuent-les-Palestiniens-article-19805?ml=true