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19 avril 2024

Consensus contre le chaos


ITRI : Institut Tunisien des Relations Internationales

Salima Ghezali:

Publié par Candide le 2 août 2016 dans Chroniques

issiakhem-1Consensus contre le chaos, Libre Algérie, 27 juillet 2016

Avec la montée en cadence des attentats terroristes en Europe, l’aspect chaotique du phénomène de la communication s’installe comme acteur majeur de la crise de la globalisation. Avec un grand risque d’étendre le chaos réel, physique et politique, expérimenté dans certaines parties du monde vers des sociétés jusque là épargnées. Ou d’y replonger celles qui en émergent à peine. Comme nous.
Un dirigeant des services secrets français parle de risque de guerre civile en France avec des conséquences directes sur la surenchère de l’extrême-droite sur le thème de l’immigration et de l’Islam. Un sioniste notoire et fort célèbre au double statut de journaliste et d’économiste, propose d’appliquer aux musulmans des banlieues françaises le châtiment que Sherman appliqua aux Etats du sud lors de la guerre civile en Amérique. Et un inénarrable romancier algérien soutient, sans une once d’originalité tant le thème est récurrent chez les colonialistes, anciens et nouveaux, que les révolutionnaires indépendantistes algériens étaient les précurseurs des terroristes de DAESH.
Et tout ce beau monde ferme soigneusement les oreilles quand le général Flynn dénonce la création de DAESH par son pays. Tout ce beau monde oublie d’aller voir du côté des stratèges américains comment des thèmes comme la stratégie du chaos, le choc des civilisations et autres joyeusetés ont participé à faire de notre monde un lieu de moins en moins sûr, livré à la violence et la terreur.
Tout ce beau monde oublie que ce n’est pas « notre société » ou « nos valeurs » qui sont attaquées et détruites, à chaque fois que le terrorisme frappe, mais le monde dans la diversité de ses composantes et dans sa capacité à faire société humaine. Organisée politiquement et libre.
Le chaos médiatique fonctionne de manière à favoriser les lectures tronquées, la peur, la haine, le mensonge, l’inversion des faits mais, surtout, le chaos médiatique vise à empêcher que se constitue l’expérience humaine.
On entend ici et là dire que l’Algérie doit faire bénéficier le monde de son expérience de lutte contre le terrorisme. Ah bon ? Parce qu’on a tiré des leçons de ce qui nous est arrivé pour pouvoir le hisser au rang expérience ? Publiquement, politiquement, socialement, culturellement…
On évite pourtant encore soigneusement de donner le chiffre des pertes réelles, en membres des services de sécurité morts au combat par exemple. Tout corps confondus.
Quel Etat européen serait aujourd’hui prêt à sacrifier, comme l’a fait l’Algérie des années 90, des milliers d’hommes de ses services de sécurité dans une violente « guerre contre le terrorisme » ? Ne préféreraient-il pas tous éviter d’en arriver là ? Ne préféreraient-ils pas écouter les plus sages ?
Quel conseilleur bien inspiré de chez nous a envie de souffler, aux oreilles européennes attentives, (comme on le lui a soufflé hier ?) la bonne idée d’enfermer des milliers d’hommes dans des camps ? Qui a envie de rafles au sortir des mosquées ? Qui veut des zones sécurisées pour son personnel de premier rang ? Qui veut faire disparaitre des milliers de personnes ? Qui veut faire bénéficier de l’expérience des villages abandonnés, des écoles fermées, des usines détruites… ?

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Parce que « l’expérience algérienne de lutte contre le terrorisme » c’est aussi ça.
L’autre expérience algérienne, c’est celle de la lutte contre la violence et en faveur du dialogue et de la concertation, qui isole les extrémismes et les criminels. Celle là, bien que bannie de l’espace public et repliée au plus profond du cœur de la société algérienne, a permis à un monde commun à tous les algériens de subsister malgré tout.
Cette expérience qui privilégie le dialogue et la solution politique nous la devons à des hommes comme Hocine Aït Ahmed, Abdelhamid Mehri et d’autres comme eux, issus des rangs de la révolution algérienne et restés fidèles à ses principes libérateurs, humanistes, universalistes. Des principes qui en ont fait une des révolutions-phares du XXème siècle.
Cette expérience là ne glorifie pas la guerre, elle ne la craint pas et n’hésite pas à y recourir pour se défendre, mais elle n’en fait pas la panacée universelle. Si le discours révisionniste de certains algériens s’est frayé une bonne place en France c’est, d’une part, car la France reste profondément travaillée par une mentalité qui loue « les bienfaits du colonialisme » et, d’autre part, car en Algérie, certains, tard arrivés à la lutte pour la libération nationale, ont cru qu’ils pouvaient découpler la révolution algérienne de sa dimension politique et n’en garder que le volet militaire. Et ont voulu régenter de la sorte la société algérienne.
Pour que l’horrible séquence des années 90 puisse servir d’expérience au monde dans une véritable lutte contre le terrorisme, il faudrait d’abord que les algériens soient libres d’en tirer les enseignements qui en feront une expérience, pour eux-mêmes d’abord, et pour le reste de l’humanité ensuite.
Un véritable consensus national devrait aboutir à nous apprendre comment éviter de retomber dans les affres de la violence et du terrorisme. Il y a de toute évidence, dans le monde des forces qui privilégient le chaos. Nous leur devons, à parité égale avec notre propre aveuglement, l’horrible prix payé lors des années 90. Il nous appartient, pour ne pas récidiver, de tirer sérieusement le maximum de leçons de notre expérience. De la plus lointaine à la plus récente.
http://www.libre-algerie.com/consensus-contre-le-chaospar-salima-ghezali/27/07/2016/

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