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24 avril 2024

Des crânes algériens attendent une sépulture


LA CROIX

Marie Verdier, le 04/08/2016

Une pétition lancée par un universitaire algérien réclame la restitution à l’Algérie des crânes de résistants assassinés pendant la conquête coloniale au XIXe siècle, conservés dans les réserves du Musée de l’homme à Paris.

Le musée de l’Homme, à Paris, abrite les restes d’Algériens tués au XIX<sup>e</sup> siècle, que leur patrie réclame.

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Le musée de l’Homme, à Paris, abrite les restes d’Algériens tués au XIXe siècle, que leur patrie réclame. / Patrick Tourneboeuf/Oppic/Tendance Floue

Le devenir de crânes algériens est l’une de ces affaires du passé dont la France et l’Algérie ont le secret. L’historien Ali Farid Belkadi avait exhumé en 2011 des réserves du Musée de l’homme à Paris 36 crânes d’Algériens tués et décapités par le corps expéditionnaire français pendant les années d’impitoyable conquête coloniale de l’Algérie au milieu du XIXe siècle.

Ces têtes de personnes identifiées, prises comme des trophées de guerre, avaient été conservées par des médecins militaires avant d’enrichir les collections anthropologiques du musée, où elles reposent depuis un siècle et demi.

L’ancienne ministre algérienne de la culture Khalida Toumi avait affirmé en 2011 que ces restes humains seraient réclamés à la France pour leur offrir une sépulture, tout comme furent restituées les têtes maories à la Nouvelle-Zélande ou Saartjie Baartman (la « Vénus hottentote ») à l’Afrique du Sud.

Plus de 25 000 signatures pour la restitution des têtes algériennes

Mais l’Algérie n’en fit jamais la demande. « La commission scientifique nationale des collections n’est pas compétente pour les restes humains identifiés. La France ne peut répondre qu’à la demande d’un État pour leur restitution », fait valoir Vincent Lefèvre, sous-directeur des collections au ministère de la culture.

L’affaire vient de rebondir à la faveur de la pétition « Restitution des têtes des résistants algériens, détenues par le Musée de l’homme » qui a reçu plus de 25 000 soutiens en un mois sur Internet. « Je suis un fils de chahid (résistant) mort au maquis, qui n’a pas eu de sépulture. Je trouve intolérable que ces ossements n’aient pas de sépulture », s’insurge Brahim Senouci, enseignant de physique à l’université de Cergy-Pontoise et auteur de la pétition.

> Lire aussi : Trente-sept crânes d’Algériens au Musée de l’homme

D’autant plus intolérable à ses yeux que certains de ces crânes appartiennent à de grands résistants. Tel Cheikh Bouziane, le chef de la révolte de Zaâtcha dans les Aurès, qui résista pendant des mois en 1849 avant que tous les occupants de la cité ne soient sauvagement tués. Ou Mohamed Lamjad Ben Abdelamalek, dit chérif « Boubaghla » (« l’homme à la mule »), qui dirigea une insurrection en Kabylie jusqu’à sa mort en 1854.

Si la pétition a été maladroitement adressée à la direction du Musée de l’homme, elle a néanmoins résonné par-delà la Méditerranée. Le ministre des moudjahidins, Tayeb Zitouni, a récemment déclaré que le gouvernement algérien œuvrait à une « prise en charge optimale de cette question » à l’occasion de la commémoration des enfumades (tueries par le feu et l’asphyxie) de 1845 de la tribu des Ouled Riah, près de Mostaganem. Mais si ce dossier des crânes a été évoqué à plusieurs reprises dans le cadre du dialogue bilatéral entre la France et l’Algérie, aucune demande officielle n’a encore été formulée.

Exhumer les têtes permettrait-il d’exhumer ce passé ?

« Ces restes humains sont une allégorie d’une sombre période – celle d’une conquête qui fut la plus longue et la plus sanglante de l’histoire coloniale – peu connue mais qui continue à être présente dans les inconscients collectifs, fait valoir l’historien Gilles Manceron. Sous la monarchie de Juillet, rappelle-t-il, la pratique barbare de décapiter et d’exhiber les têtes au bout des baïonnettes pour apeurer la population a été légitimée pour venir à bout des résistants appelés “fanatiques”. La violence de la conquête a été rééditée pendant la guerre d’Algérie. »

Exhumer les têtes permettrait-il d’exhumer ce passé ? L’Algérie semble peu demandeuse face à ces enjeux historiques complexes. « Les crânes sont assortis d’indications plus ou moins détaillées. Mais pour six d’entre eux, ils étaient “au service de la France” », précise Michel Guiraud, directeur des collections du Muséum d’histoire naturelle, dont dépend le Musée de l’homme.

« Il peut y avoir aussi des morts à l’hôpital dont les corps n’ont pas été réclamés, ou des personnes qualifiées d’assassins », ajoute-t-il. Les supplétifs, ou zouaves au XIXe siècle, avaient-ils été enrôlés de gré ou de force ? L’histoire de ces 36 Algériens reste encore à écrire. En attendant, l’Algérie peut difficilement faire le tri pour ne réclamer que ses héros.

> Lire aussi : La tête d’Ataï, grand chef kanak, retourne en terre calédonienne

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► Une riche collection

Le Musée de l’homme abrite l’une des plus riches collections de restes humains au monde (environ 30 000 pièces), précieuse pour l’étude de la diversité humaine. Environ 500 sont des restes identifiés. Qu’il s’agisse de momies égyptiennes, de célébrités telles Saint-Simon ou Gambetta, de condamnés à mort, de corps non réclamés dans les hôpitaux ou d’opposants algériens.

Les restes de Saartjie Baartman (la « Venus hottentote ») furent les premiers à être restitués à l’Afrique du Sud en 2002. Plus récemment, des têtes tatouées maories ont été rendues à la Nouvelle-Zélande, la tête du chef kanak Ataï l’a été à la Nouvelle-Calédonie.

Marie Verdier
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