Des casques bleus ukrainiens et un Congolais ont été pris la main dans le sac, hier à Goma, avec des uniformes d’une unité d’élite de l’armée. Une prise qui a immédiatement été liée aux récents massacres de Béni, où les assaillants portaient des uniformes de l’armée congolaise. Une affirmation peu plausible, d’après notre enquête.
Les faits
Hier, aux alentours de 13 heures, onze casques bleus ukrainiens faisant partie d’un groupe de pilotes d’hélicoptère reviennent d’une mission de routine à l’aéroport de Goma et prennent un convoi de la Monusco pour rentrer à leur base, non loin.
Ils sont repérés par des gardes républicains congolais qui remarquent qu’un homme habillé en civil monte dans le convoi, chose normalement interdite, sauf sur autorisation spéciale. Les gardes décident de contrôler le camion et découvrent le pot aux roses : six uniformes des gardes républicains congolais, une unité d’élite de l’armée chargée d’assurer la sécurité présidentielle, et un pistolet.
Sur les uniformes saisis, on distingue clairement le drapeau de la RDC. Photo Magloire Paluku.
« Les casques bleus ukrainiens ont dit qu’ils avaient acheté ces uniformes pour aller ‘chasser en Ukraine’ »
CHARLY KASEREKA
À l’aéroport, il y avait une foule impressionnante. Les services de sécurité ont affirmé que les casques bleus ukrainiens, par l’intermédiaire de leur accompagnant congolais, avaient proposé 5 000 dollars pour qu’on les laisse passer. Devant le refus des services de sécurité, une dispute a éclaté. Puis les casques bleus sont restés prostrés dans le véhicule, laissant le Congolais qui portait l’uniforme s’expliquer avec les militaires. Ils ont ensuite été conduits au 34e régiment militaire. J’ai discuté avec les gardes autour de l’aéroport, ils m’ont expliqué que d’habitude, ils ne contrôlent pas les convois de la Monusco.
Les casques bleus ukrainiens dans le véhicule qui les emmène au 34e régiment n’ont pas dit un mot, selon notre Observateur. Photo Magloire Paluku.
Les casques bleus ont ensuite été emmenés au 34e régiment militaire où ils ont été interrogés. Pour seule défense, ils ont reconnu avoir acheté ces uniformes pour « aller à la chasse quand ils rentreront en Ukraine ».
De nombreux habitants de Goma sont choqués, car on n’imaginait pas que des casques bleus puissent être impliqués dans un éventuel ‘trafic’. Ils tentent d’instrumentaliser cet événement en disant que c’est la preuve qu’on ne peut pas faire confiance à la Monusco et qu’elle doit quitter le Nord-Kivu.
Exemple de tweet demandant des mesures du gouvernement congolais contre la Monusco.
« Peut être qu’il faudrait dorénavant contrôler les convois de la Monusco » (porte-parole des FARDC)
C’est vrai que les convois de la Monusco ne sont pas contrôlés par les services de sécurité congolais car ils sont considérés comme des convois amis invités par le gouvernement sur le territoire congolais. Peut être que cet événement devrait remettre en cause cette absence de contrôle des convois de la Monusco vu le contexte des massacres dans la région de Béni.
« Les tenues saisies sont celles de gardes républicains. À Béni, c’était des uniformes de FARDC »
Plusieurs hommes politiques s’étaient demandé comment ces tenues de militaires congolais avaient pu se retrouver sur les épaules des agresseurs. Cependant, ces uniformes ne correspondent pas à ceux saisis hier à Goma. Ceux détenus par les soldats ukrainiens appartiennent à la garde républicaine, une unité chargée d’assurer la sécurité des bâtiments présidentiels, tandis que les tenues utilisées lors les attaques près de Béni sont portées par des membres des FARDC.
« Six uniformes ne doivent pas remettre en question le travail de la Monusco au Nord-Kivu » (Félix Basse, Monusco)
Il s’agit pour nous d’un acte isolé : les casques bleus ukrainiens avaient l’ habitude d acheter des cartes téléphoniques auprès d’ un individu opérant en face de l’entrée de l’aéroport. Ce dernier a été leur intermédiaire avec le garde républicain. D’ ailleurs cet individu est en fuite et recherché par la police. Il est probable que ces Ukrainiens cherchaient à récupérer des uniformes, peut être comme un souvenir, et que ce garde républicain ait satisfait leur demande. Cela étant dit, nous avons des règles de tolérance zéro pour les comportements inadéquats. Au terme de notre enquête, nous déterminerons les sanctions.Parler de trafic est exagéré car cela ne concerne que six uniformes. Lier cette découverte avec les événements de Béni est de la spéculation : la Monusco a combattu et a perdu des soldats dans sa lutte au côté du gouvernement congolais contre le M23. Plus récemment, elle s’est engagée aux côtés de l’armée congolaise contre la rébellion ADF-Nalu à Béni. Six tenues militaires ne doivent pas remettre en question le travail fait depuis des années.
L’affaire intervient alors que la Monusco célèbre dimanche les quinze ans de son action au Nord-Kivu dans la protection des civils et la stabilisation de la région en proie à l’instabilité depuis maintenant vingt ans. La mission onusienne est régulièrement prise pour cible par des habitants, qui l’accusent de ne pas pleinement remplir son mandat.
Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à FRANCE 24.