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23 novembre 2024

L’Occident cada-véreux : la banalisation de la mort dans la solitude


Déc 20, 2023

Par Khider Mesloub.

Durant sa longue période de gestation capitalistique, sa phase embryonnaire marchande et manufacturière, longtemps l’Angleterre, premier pays capitaliste mondial, caracolait seule en tête des pays bourgeois émergents, affichant une vitalité économique et politique éclatante, une croissance urbanistique et démographique inégalées et enviables.

Toute l’économie anglaise respirait la vie, inspirait l’envie. Elle exhibait une telle santé économique en perpétuelle développement et solidité qu’elle se morfondait dans sa solitude internationale. Les autres nations étaient certes encore ensevelies dans l’ancien monde archaïque et obscurantiste dominé par une économie de substance, mais enrichies abondamment par des traditions de solidarité et d’entraide inégalables, ces suprêmes valeurs humaines irremplaçables.

En dépit du développement anarchique des villes, de la concentration bestiale des prolétaires dans des usines et habitations urbaines, la nouvelle société anglaise, fortifiée par des liens d’amitié et de voisinage issus de l’ancien monde, pérennisait les valeurs humaines millénaires.

La moindre absence ou disparition d’un voisin ou collègue était remarquée. Tout le monde sonnait le tocsin. Chacun s’alarmait. S’armait de cette curiosité saine pour se mettre en quête de son voisin disparu, de son collègue manquant.

De nos jours, à l’ère de la décadence de la société anglaise, caractérisée par l’extinction des usines, l’agonie de la solidarité ouvrière, la corruption des cœurs, en résumé par l’individualisme forcené et le chacun pour soi, tout un chacun peut mourir dans l’anonymat. Pire, dans l’indifférence générale. L’insouciance collective.

Selon une récente étude rapportée par le Guardian, au Royaume-Uni (désuni), les personnes retrouvées longtemps après leur décès sont de plus en plus nombreuses. Une information reprise par le magazine Géo. Selon ce site « C’est une tendance bien morbide qui se dessine outre-Manche : depuis les années 1980, l’Angleterre et le Pays de Galles connaissent une hausse du nombre de personnes retrouvées longtemps voire très longtemps après leur décès ».

Le plus morbide dans ce sinistre phénomène britannique, c’est que les « corps sont découverts si longtemps après qu’ils ont eu le temps de se décomposer ». L’étude macabre précise que ces « décès indéfinis — personnes décédées à leur domicile passées inaperçues et retrouvées décomposées— sont en constante augmentation depuis plus de 40 ans pour les deux sexes. Et ce malgré la chute du taux de mortalité au fil des ans ».

Autre singularité sociologique relevée par cette étude : « les hommes seraient deux fois plus susceptibles que les femmes d’être découverts en état de décomposition ».

Curieusement, on pourrait croire que les personnes âgées isolées seraient plus concernées par ces disparitions feutrées et calfeutrées. Or, il n’en est rien. Selon cette étude, au Royaume-Uni le nombre total de décès isolés est plus important chez les personnes âgées entre 15 et 44 ans que chez les individus âgés entre 45 et 64 ans.

Ce phénomène macabre est attribué à « une épidémie de solitude ». La médecin Kamila Hawthorne, président du Royal College of GPs, souligne que la solitude « expose les gens à un risque 50 % plus élevé de décès prématuré et que la baisse des relations sociales n’arrange en rien la situation ».

« Cette étude est une lecture très triste. La solitude n’est que trop fréquente et, bien qu’elle touche toutes les tranches d’âge, elle peut s’avérer particulièrement problématique pour les personnes âgées. L’impact qu’elle a sur la santé et la qualité de vie d’une personne est considérable », a-t-elle ajouté au quotidien britannique, Le Guardian.

Cette étude sur les décès dans l’anonymat et l’indifférence peut être recoupée avec une autre précédente enquête américaine consacrée à la corrélation entre l’isolement social et la prolifération des maladies protéiformes, notamment les maladies cardio-vasculaires et l’obésité, vectrices de surmortalité. En tout cas, les effets délétères de la solitude sur la santé sont connus depuis de nombreuses années, et font l’objet de nombreuses publications scientifiques.

Cela étant, curieusement, selon les chercheurs l’origine ethnique est un prédicteur plus fort d’isolement social que le sexe. Car, selon cette étude américaine, les Blancs ont plus de chances de nouer des interactions sociales que les noirs. Ces derniers sont davantage exposés aux maladies, donc à la mortalité précoce, du fait notamment de leur sédentarité et de leur inaccessibilité aux services de santé.

Ce phénomène macabre est également très répandu dans un troisième pays capitaliste développé : le Japon. Selon plusieurs études, dans ce pays chaque année plusieurs centaines de milliers de japonais meurent dans l’isolement, sans que personne ne s’en aperçoive.

Ce phénomène funèbre, la population japonaise le nomme le kodokushi, autrement dit, la mort solitaire. Ainsi, dans le pays insulaire le plus densément peuplé du monde, des centaines de milliers de personnes meurent dans la solitude sociale et l’indifférence générale. Dans l’archipel nippon, le phénomène de mort solitaire touche majoritairement les personnes de plus de 65 ans. Or, près de 30 % de la population nippone a atteint cette tranche d’âge.

Pourtant, au Japon, il y a encore quelques années, la famille composée de plusieurs générations cohabitait sous le même toit. Aujourd’hui, la structure familiale traditionnelle a été éclatée. Et les personnes âgées vivent de plus en plus seules et isolées. Étant donné que pour les japonais leur emploi constitue souvent l’unique lien social, aussi toute perte du travail ou mise à la retraite a pour effet de les couper définitivement du monde.

Or, selon les estimations démographiques, le Japon comptera près de 40% de personnes âgées de plus de 65 ans en 2060. Ainsi, le nombre de kodokushi ne va pas cesser d’augmenter. Par ailleurs, avec le vieillissement de la population, combiné à la diminution du nombre de mariages et l’augmentation des divorces, les démographes prévoient que près de 8 millions de japonais vivront seuls en 2035. Ce qui entraînera un risque du nombre de kodokushi. Déjà, ce phénomène de société a généré la formation de « brigades de nettoyeurs », spécialisées dans le nettoyage d’appartements des kodokushi, les « morts solitaires », ces personnes dont on retrouve le corps des mois, voire des années, plus tard.

Somme toute, dans les pays capitalistes occidentaux, de plus en plus de personnes vivent seules et recluses. Du fait de l’effritement des valeurs liées aux relations humaines, de la dislocation du réseau de voisinage, le nombre de personnes isolées qui ne voient ni famille ni amis explose.

Ainsi fonctionnent les sociétés cadavériques et véreuses occidentales, dévorées par l’individualisme et le chacun pour soi. Dans ces pays cada-véreux, la solitude est devenue l’unique trajectoire existentielle mortifère. Et la mort l’ultime moment de solitude.

Khider MESLOUB

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