Le chaos libyen par Jean Pierre Dubois
7 mai 2012
LE PETIT BLANQUISTE
03/05/2012
Le chaos libyen
Il y a un an, les populations civiles de Libye vivaient chaque jour sous la menace des bombardements aériens censés les « protéger ».
Depuis le 19 mars, les villes [1] et les infrastructures du pays (routes, hôpitaux, écoles,…) étaient pulvérisées par les attaques des avions de l’OTAN. Un calvaire qui devait durer sept mois au cours desquels 10.000 missions aériennes ont projeté au sol plus de 40.000 bombes et missiles.
Quand l’OTAN « protégeait » les civils
Dans le même temps, des éléments des forces spéciales françaises et britanniques, et des milliers de mercenaires qataris, s’infiltraient au sol pour combattre les troupes de l’armée libyenne, aidés en cela par des groupes « islamistes » (encore qualifiés de terroristes quelques mois auparavant) financés et armés par les monarchies du Golfe.
Finalement, Kadhafi a été assassiné dans les conditions sauvages que l’on sait et le Conseil national de transition (CNT) s’est emparé du pouvoir avec la bénédiction de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis.
UN ETAT DEMEMBRE
En fait, le mouvement qui, le 17 février 2011, prit naissance à Derna et Benghazi n’était pas à l’origine un soulèvement « démocratique » mais une tentative de sécession de la Cyrénaïque, région traditionnellement opposée à la Tripolitaine. [2]
Les Occidentaux, dont la France, n’ont fait que prendre le parti d’un camp contre un autre, feignant de croire que le CNT était l’émanation de tout un peuple en lutte pour sa liberté alors qu’il n’était qu’un conglomérat d’intérêts contradictoires. Ils ont également pesé pour que la priorité soit donnée au renversement du régime de Mouammar Kadhafi.
On a la confirmation du caractère régionaliste de la rébellion libyenne avec le fait que la Cyrénaïque vient de proclamer son autonomie du reste de la Libye et placer à sa tête Ahmed Zubaïr al-Sanoussi, cousin de l’ancien roi Idris déposé par Kadhafi en 1969. [3]
La région du Fezzan parle de suivre le même chemin. Or, tant la Cyrénaïque que le Fezzan représentent des territoires où se trouvent d’importants gisements pétroliers (80% de la production libyenne provient de la Cyrénaïque).
Les grandes compagnies pétrolières occidentales, à qui la Libye de Kadhafi ne concédait que d’étroites marges de gain, pourront ainsi obtenir des conditions qui leur sont optimales en faisant jouer l’opposition des dirigeants locaux, les uns contre les autres.
L’ONU « SATISFAITE »
Le Conseil de sécurité a prolongé d’une autre année sa « mission d’appui en Libye », en se félicitant des « développements positifs » qui « améliorent les perspectives d’un avenir démocratique, pacifique et prospère ».
Toutefois, nos diplomates ont tenu à exprimer leur « préoccupation » pour « les continuelles détentions illégales, tortures et exécutions extrajudiciaires ». Une manière de confirmer que « l’avenir démocratique, pacifique et prospère » de la Libye restera longtemps une chimère.
Les premières victimes de la violence en Libye sont les immigrés d’Afrique subsaharienne. Pourchassés, persécutés et contraints de fuir, certains rentrent dans leurs pays d’origine (perdant ainsi la source de revenus qui entretenait leurs familles), d’autres tentent la traversée de la Méditerranée vers l’Europe au risque de leur vie.
Persécution raciale en Libye
CHAOS GENERALISE
Sur fond de catastrophe économique, la Libye vit actuellement dans un chaos extrême. Des villes comme Tripoli sont aux mains de milices surarmées qui refusent de faire allégeance au CNT et s’adonnent à des activités mafieuses. Ailleurs, des combats meurtriers déchirent des tribus rivales.
Tripoli : La population manifeste contre la présence des milices
Cette insécurité générale laisse planer la menace d’une guerre civile. [4]
Elle est aussi une source de vulnérabilité pour les voisins de la Libye, comme l’Algérie, la Tunisie ou le Mali.
L’Algérie craint légitimement que nombre des armes en circulation en Libye ne finissent dans les mains d’Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) et ne favorisent la recruscence des attentats qui ensanglantent encore le pays.
Quant au Mali, il doit affronter une sérieuse tentative de sécession du Nord du pays organisée par des Touaregs, anciens supplétifs de l’armée libyenne de Kadhafi, auxquels se sont joints des éléments dits « islamistes ».
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Il semble bien que nous soyons en présence de manoeuvres des États-Unis et de la France sur les frontières sud de l’Algérie afin d’amener le gouvernement de ce pays à céder les richesses du Sahara aux multinationales occidentales et à permettre qu’y soient installées des bases militaires.
Alain Juppé fait mine d’être préoccupé avec le fait que le « péril islamique » puisse « s’étendre de la Libye jusqu’au Nigeria ». En réalité, la menace « islamiste » au Sahel n’est agitée que pour mieux justifier une nouvelle intervention militaire occidentale – directe ou par l’intermédiaire de supplétifs locaux.
Clinton à Tripoli : La Libye comme tête de pont…
[1] Au dernier recensement de 1995, 85,8% des Libyens vivaient dans des villes.
[2] L’antagonisme entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine remonte à l’Antiquité. A noter que, déjà en 1949, la Cyrénaïque avait proclamé son indépendance sans consultation de la Tripolitaine (administrée par les Britanniques) ou du Fezzan (administré par les Français).
[3] Avant d’être déposé par Kadhafi en 1969, le roi Idriss avait concédé, aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, la possibilité d’installer des bases militaires et des facilités d’accès aux ressources pétrolières.
[4] « Plusieurs dirigeants du CNT, craignant d’être tués, résident désormais dans l’île de Malte ». (Gilles Munier, Afrique-Asie, avril 2012)
Jean-Pierre Dubois – blanqui.29@orange.fr