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18 novembre 2024

Ces miliciens qui se croient tout permis


 

Libye: Ces miliciens qui se croient tout permis

Corruption, tribalisme, milices armées… les maux sont connus et paralysent le pays.

Des combattants préparent des munitions lors des combats près de Zuwara le 4 avril 2012. Reuters/Anis Mili

Plus de 5 mois après la fin officielle de la guerre civile, la Libye n’est toujours pas stabilisée. Le gouvernement intérimaire n’a-t-il pas une part importante de responsabilité?

«La liberté n’est pas l’anarchie». Cette phrase est devenue la devise officieuse du gouvernement libyen car elle s’adresse aux trois principaux problèmes que rencontre la Libye: la prédominance du système tribal qui empêche toute unité du pays à l’heure actuelle, la corruption persistante qui donne souvent lieu à des détournements des fonds publics et le recours rapide et fréquent aux armes pour régler les conflits.

Après la guerre, il faut intégrer les combattants

Etant donné le rôle majeur joué par les milices dans l’instabilité actuelle et la corruption, leur démantèlement et leur désarmement reste la priorité principale. Dès début janvier, le ministre de l’Intérieur Faouzi Abdelali a annoncé un plan visant à intégrer 50 000 combattants dans les forces armées et dans les rangs de la police. Le gouvernement libyen espère mettre en place avant les prochaines élections 30 000 policiers afin de faire régner l’ordre. A cause du chaos régnant sur place et du manque de moyens de l’Etat, beaucoup sont formés à l’étranger. Ainsi, depuis le début de l’année, près de 9 000 futurs policiers libyens sont formés au King Abdullah Special Operation Training Center (KASOTC) à Yajooz, près d’Amman.

Cette intégration des milices dans les effectifs de police est-elle efficace? On peut en douter au vu de la persistance des affrontements armés entre groupes rivaux et de la quasi-impunité dont jouissent les miliciens. En mars, des affrontements entre milices dans le sud du pays ont fait 20 morts.

En février, plus de 100 personnes ont été tuées en moins de deux semaines dans des échauffourées opposant, selon le gouvernement, la tribu des Zouwaya et celle des Toubous. Le 10 avril, c’est le siège du gouvernement intérimaire qui a été attaqué par des miliciens à cause de la décision d’interrompre le versement d’indemnités aux anciens révolutionnaires en raison de soupçons de fraude. En effet, les différentes katibas auraient détourné de nombreux fonds publics.  

«Le versement d’indemnités aux rebelles a été interrompu en raison de violations et d’abus»avait expliqué Mohammed Harizi, porte-parole du CNT ajoutant que «des millions de dinars (libyens) alloués aux révolutionnaires ont été perdus en paiements» indus.

Le gouvernement encourage-t-il les abus?

Enfin, le 8 mai, plus de 200 anciens rebelles ont occupé la résidence du Premier Ministre par intérim Abdurrahim al-Keib afin de réclamer leurs indemnités.

Le gouvernement  a cependant une responsabilité très importante dans ce sentiment d’impunité à l’égard des miliciens. Alors que, dans un rapport récent, Amnesty International a évoqué des systématiques, parmi lesquels des crimes de guerre, commis par des groupes armés contre des partisans présumés du colonel Kadhafi, les intérimaires du CNT ont décidé le 2 mai de voter la loi 38 empêchant de poursuivre les révolutionnaires coupables de crimes et délits si ceux-ci ont été effectués dans le but de«promouvoir ou protéger la révolution».

L’exécution de 53 personnes en octobre à Syrte par des miliciens ne sera donc jamais élucidée? Cette loi a immédiatement été dénoncée par les ONG. Pour Joe Storck, directeur de la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient pour Human Rights Watch, cette loi «propage une culture de justice sélective qui encourage les abus.»

Chasse aux pro-Kadhafi

Une telle amnistie tranche profondément avec la sévérité du gouvernement envers les pro-Kadhafi. «Saluer ou glorifier Mouammar Kadhafi, son régime, ses idées ou ses fils … est passible d’une peine de prison» pouvant potentiellement aller jusqu’à la prison à vie, d’après une loi votée au début du mois de mai. Dans le même temps, une peine de prison est également prévue pour toute personne qui «s’attaque à la Révolution du 17 Février, dénigre l’Islam, l’autorité de l’Etat ou ses institutions.»

Le gouvernement intérimaire a pris d’autres mesures que l’on pourrait qualifier de liberticides. Ainsi, les personnes détenues par des miliciens ne peuvent porter plainte contre l’Etat ou des factions armées si elles ne peuvent prouver que cette détention s’est effectuée sur la base de «fausses allégations».

La loi donne également au gouvernement le droit de restreindre la liberté de se déplacer d’une personne, de lui faire payer une amende ou de l’emprisonner de façon préventive jusqu’à deux mois d’affilée si elle est une «menace pour la sécurité publique et la stabilité» sur la base de ses «liens ou actions avec un membre important de l’ancien régime». Une dénomination assez vague pour courir le risque de détentions arbitraires.

Vers des élections libres? 

Le CNT oscille donc entre fermeté et impunité. Or, tout signe de faiblesse à l’égard des miliciens retarde le processus de transition politique. L’incapacité du gouvernement intérimaire à désarmer les groupes révolutionnaires et assumer son autorité permet à certaines factions armées d’aller jusqu’à envisager la partition du pays.

Bien sûr, la construction d’un Etat de droit prend du temps et la constitution d’une véritable police et d’une armée intégrant des révolutionnaires pourra améliorer la sécurité des libyens. Cependant, rien de cela ne sera possible sans un véritable état de droit, impossible au vu des dernières lois votées. Il y a pourtant des raisons d’être optimiste: plus de 800 000 Libyens se sont déjà inscrites sur les listes électorales depuis le 1er mai en vue de l’élection de l’Assemblée constituante prévue en juin. La population croit donc fermement en la possibilité d’élections libres. Si seulement le gouvernement intérimaire remplit ses engagements.

Arnaud Castaignet

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