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25 avril 2024

L’imposture libyenne


L’imposture libyenne

6 août
Rabeh Sebaa –
Le Quotidien dOran « Et je savais pour quoi désormais le décor était planté. » Julien Gracq, Le rivage des Syrtes
Jusquà la mise à prix de la tête du fugitif en dollars, et non en monnaie locale, et la photo du même fugitif frappée dun wanted diagonal, tous les ingrédients dun feuilleton yankee sont réunis. Le reste de la série qui se déroule en permanence, en Iraq, en Afghanistan, au Pakistan et bientôt en Syrie est déjà devenu dune saisissante banalité. Mais le cas libyen permet dobserver, de façon frappante, et effrontément cynique, la voracité empressée des puissances occidentales, en loccurrence les Etats-Unis et lUnion Européenne, à lendroit des territoires à conquérir, aux fins dune mainmise sur leurs ressources stratégiques. Cette voracité non déguisée, baptisée par leuphémisme burlesque de printemps arabe, et curieusement relayé par lensemble des médias de la « bien pensance », a eu pour théâtre originel la Tunisie, lEgypte puis le Yémen et ensuite la Libye et la Syrie, devient ouvertement insatiable.
Elle compte bien sétendre à dautres pays dont le travail de fragilisation ou de déstabilisation à déjà commencé. Et tous les prétextes sont bons pour déclencher la sale besogne. Cest dans ce but, et seulement dans ce but, que les États-Unis et lUnion européenne introduisirent, soudainement dans leur vocabulaire idéologique la nouvelle panacée, comme variante droithommienne : la sacro-sainte Protection des Populations Civiles (PPC). Une protection à coups de bombes, dont ces mêmes populations sont, tout naturellement, les premières victimes. Etrange conception de la protection.
Lagression brutale contre la Libye, sest basée, comme on le sait, sur une résolution du Conseil de sécurité de lONU, ou siègent les membres de lOTAN, résolus, avant même ladoption de la résolution, à bombarder les cibles définies par eux et/ou par leur services présents sur le sol libyen. Services ayant pour mission « dencadrer efficacement » les insurgés, reconnus comme étant non expérimentés. Comme le souligne Eric Dénécé, directeur du Centre français de Recherche sur le Renseignement. « Les insurgés étaient totalement incapables de faire quoi que ce soit militairement. Linstruction et lencadrement des insurgés aussi bien à lEst quà lOuest les a amenés à être un peu moins mauvais en matière militaire. » Citant, un conseiller à la Défense français, assurant, déjà en avril, au Nouvel Observateur : « Il ne faut pas se leurrer, le but est quand même de professionnaliser les combattants libyens pour quils puissent conquérir du terrain et certaines villes. Et pour cela il faut les aider sur les armements et sur des planifications opérationnelles pour leur apprendre à mieux résister.
Enfin, « Je peux vous dire, selon mes sources, quil y avait déjà en Libye, avant le déclenchement des frappes aériennes, des agents infiltrés français, britanniques, américains, égyptiens, émiratis et italiens », assure encore Eric Dénécé.
De quelle victoire, alors, ces insurgés préfabriqués, qui se transformèrent, en quelques jours et par les miracles dun glissement sémantique, en rebelles puis subitement en révolutionnaires, peuvent-il se targuer ? Et quel type de « révolutionnaires » sont-ils ? Il y a quelque amusement, dailleurs, à se demander depuis quand les USA et lUE sont-ils aux petits soins avec les révolutionnaires ? Ces révolutionnaires tant glorifiés dans les pays arabes et si détestés en Amérique latine… Loin de tout idéal révolutionnaire, et en toute constance, les États-Unis et lUE nentretiennent, de toute évidence, que des rapports dintérêts et de domination avec lensemble des pays arabes voire de la planète.
Quand ils prétendent y faire autre chose, ils mentent effrontément. Et cest ainsi que les « bombes humanitaires » larguées, de façon diluvienne sur des quartiers civils de Libye, PPC oblige, navaient dautre objectif, contrairement aux mensonges de lOtan et des USA, que de faciliter lavancée des « révolutionnaires » de pacotille, vers le but ultime, Tripoli, symbole du pouvoir à éradiquer. Pouvoir, faut-il le souligner, détenu par un psychopathe délirant, durant quatre décennies et dont la disparation est, bien entendu plus que bienvenue. Mais cette disparition, souhaitée par toute personne sensée, ne doit pas voiler la vérité. Encore moins absoudre les crimes contre lHumanité perpétrés par lUnion Européenne et les Etats-Unis.
Selon le Commandement conjoint allié de Naples, « lOTAN a effectué, en moins de cinq mois, plus de 20 mille raids aériens, dont 8 mille attaques par bombes et missiles ». Cette action, aux chasseurs-bombardiers qui larguent des bombes à guidage laser dune tonne, dont les têtes pénétrantes à luranium appauvri et tungstène peuvent détruire des édifices renforcés, se sont joints les hélicoptères de combat, dotés des systèmes darmements les plus modernes. Parmi eux, le missile à guidage laser Hellfire, qui est lancé à 8 km de lobjectif, utilisé par les avions télécommandés Predator/Reaper. Les objectifs sont repérés non seulement par les avions radar Awacs, qui décollent de Trapani (côte sud-ouest de la Sicile), et par les Predator italiens qui décollent dAmendola (Foggia, province des Pouilles), en survolant la Libye 24h/24. Ils sont aussi signalés – par les rebelles. Ceux-ci, tout en étant « mal entraînés et mal organisés », sont en mesure, grâce des technologies fournies par des pays de lOTAN, de transmettre dimportantes informations au team OTAN en Italie, qui choisit les objectifs à frapper » indiquent, sans rougir, au New York Times les responsables de lOTAN et des forces US.
De toute évidence, si ces insurgés sont arrivés à Tripoli, cest dû non pas à leur capacité de combat, mais au fait que les chasseurs-bombardiers, les hélicoptères et les Predator de lOTAN le leur ont permis. Ainsi la mort de plus dun millier de civils libyens et la destruction des infrastructures socioéconomiques, sanitaires et culturelles est une opération de protection et de défense bien originale de ces mêmes civils. Un remake de la prise de Baghdâd mais à partir du ciel. Un remake car pour Baghdâd aussi, la guerre psychologique et la propagande avaient commencé par des accusations de possession darmes de destruction massive, de crimes de guerre ou de crimes contre lhumanité commis par le « Dictateur » sanguinaire et son régime barbare. Toujours selon le même scenario. Des sanctions économiques qui précédent systématiquement lappel impérieux au départ du dirigeant pestiféré dabord par les USA, auxquels emboitent le pas la France, lItalie, lAllemagne et le Royaume uni. Sensuit, comme dans tous les cas, la réactivation dune « opposition démocratique » ou dun Conseil de Transition ou de Coordination, reconnu illico presto par les puissances occidentales et gratifié de toutes les vertus démocratiques. On retrouve immanquablement dans ces oppositions et ces conseils, des figures connues pour manger goulûment dans le râtelier occidental ou encore des frustrés instrumentalisés de la dernière heure auxquels on fait miroiter un avenir politique mirobolant qui a été contrarié par le régime maudit. Il suffit dobserver la composante humaine du CNT libyen pour comprendre toute lignominieuse régularité de ce scenario à répétition. Ce conseil composé dune quarante de membres mais qui na dévoilé que les noms da peine la moitié, non pas pour une prétendue raison sécuritaire mais tout simplement parce quil sagit de pourris du régime, dopportunistes affairistes et dactivistes islamistes notoires, connus et fichés par ces mêmes services occidentaux, qui sont allés les former et les encadrer à Benghazi avant de les lâcher en hordes hagardes sur les chemins dévastés par les bombardements intensifs et répétés. Des pantins dont on se met à vanter, sans la moindre retenue ; à linstar de ce rentier de la pensée français, philosophe de service attitré, la bravoure et le courage, devant une armée de professionnels et des armements lourds quils affrontent à mains nus. Mais quand on a lOTAN et lONU de son côté nest-on pas capables de tous les miracles ? Y compris celui de défaire un Etat en quelques semaines sans avoir la moindre idée de ce que peuvent proposer ces Protecteurs mondiaux pour le remplacer, hormis les mots creux de Liberté et de Démocratie, comme ce fut le cas dans les pays, déjà désarticulés.
Et cest précisément pour cela que la reconnaissance officielle du Conseil national de transition (CNT) libyen comme étant la nouvelle autorité légitime de la Libye, sest opérée hâtivement hors du cadre onusien et avant même lorganisation de la moindre élection « démocratique » dont ces protecteurs bien intentionnés sont si friands. Reconnaissance en boule de neige dun CNT fantoche au moment ou la simple évocation du projet dannonce de lEtat palestinien devant cette même ONU, septembre, a provoqué une levée de boucliers. Mais les intérêts stratégiques, cest bien connu, autorisent toutes les entorses au droit international. Celui que ces organisations mondiales sévertuent à bafouer, sans vergogne, précisément au nom de son observance et de son respect. Tout doit être sacrifié aux rapports de force à léchelle planétaire cest-à-dire à la redéfinition du nouvel ordre expansionniste et de prédation au nom de la Sacro-sainte Protection des Populations Civiles et de sa Majesté La Sérénissime Démocratie. Un nouvel ordre impérialiste qui affiche manifestement sa préférence monarchique. Et ce nest pas un hasard si létendard du roi Senoussi a supplanté le tissu vert de Kadhafi en Libye.
Ce qui sy passe incite à se demander, au-delà du satisfecit distribué tapageusement à la Tunisie et à lEgypte par le nouvel Ordre de la Prédation, ce qui a vraiment changé dans ces pays, depuis la survenue de ce prétendu « printemps arabe », aux promesses déjà piteusement fanées ? Une fois ce CNT libyen installé, sous contrôle, aux commandes politiques du pays, que va-t-il réellement apporter ? Une quarantaine de personnes encadrées par les services de sécurité occidentaux est-elle en mesure de concevoir et de concrétiser un projet de société conforme aux aspirations dun peuple, longtemps opprimé ? Et, enfin, quel impact attendre sur léquilibre régional maghrébin, quand on sait quun pays comme le Maroc sest déjà empressé de dépêcher son ministre des Affaires étrangères muni dune lettre de son roi, auprès de ce même CNT, avec pour objectif déclaré dinstrumentaliser la question du Sahara occidental et surtout le dessein avoué, et cyniquement jubilatoire, disoler lAlgérie. Il sagit, indubitablement, dune imposture aux relents pestilentiels.

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