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28 mars 2024

POURQUOI L’AFRIQUE NE DOIT PAS ACCEPTER LES LEÇONS DE GOUVERNANCE D’UN OCCIDENT EN FAILLITE ?


Leçon de Géostratégie Africaine n° 41

POURQUOI L’AFRIQUE NE DOIT PAS ACCEPTER LES LEÇONS DE GOUVERNANCE D’UN
OCCIDENT EN FAILLITE ?

de Jean-Paul Pougala (*)

« C’était mieux du temps des Blancs. Dans nos dispensaires il n’y a pas
un flacon de mercurochrome, les blancs nous en donnaient. On était
vacciné, on ne l’est plus. Les écoles fonctionnaient, il n’y en a
plus. Il y avait des pistes qui étaient entretenues, il n’y en a plus.
Quand on regarde ça, on a envie d’en pleurer ». Cette phrase n’est pas
d’un alcoolique dans un maquis du quartier Yopougon à Abidjan en Côte
d’Ivoire; ce ne sont pas les propos d’un pensionnaire du Centre de
Santé Mentale « Tulizo Letu » à Goma en République Démocratique du
Congo, encore moins ceux d’un patient à peine admis à l’Hôpital
psychiatrique de Zébé à Aného (localité située à une quarantaine de
kilomètres à l’Est de Lomé) au Togo. Ce sont les déclarations sur la
chaîne parlementaire française LCP de Janvier 2010 d’un intellectuel
africain, Monsieur Kofi Yamgnane, Secrétaire d’état (vice-ministre)
sous Mitterrand, ancien maire du village breton de St Coulits (en
France), conseiller pour l’Afrique de François Hollande durant la
campagne présidentielle de 2012. Sa candidature a été recalée par la
cour constitutionnelle pour les élections présidentielles togolaises
de 2010. Le Malheureux politicien fait partie d’une espèce très
prolifique en Afrique, de politiciens ayant connu l’ère de
l’occupation coloniale, qui pour la plupart, pour avoir sa part du
gâteau, n’a pour seul programme politique que l’allégeance et la
procession vers ce qu’ils appellent eux-mêmes « les chancelleries
occidentales » transformant certaines ambassades européennes dans les
pays africains en véritables sanctuaires d’où recevoir la bénédiction
pour le chemin vers le pouvoir.

Et c’est pour rentrer dans la peau du « sauvage » à peine « civilisé » qui
doit remercier le sauveur, que tout l’argumentaire est construit pour
convaincre l’ancien bourreau qu’on est toujours son esclave et fier de
le rester. Ces personnes ont pour la plupart des fils des
fonctionnaires de la première heure qui ont étudié en France et en
Grande Bretagne avec souvent l’argent de la corruption des parents, où
bien y résident. Qu’ils soient membres des partis de l’opposition ou
des ministres au pouvoir, c’est la même chose.

L’action qui les occupe le plus consiste à la compilation du catalogue de tous les malheurs du monde présentés comme propres à l’Afrique avec un seul et même coupable : l’homme (leur président), et on explique à l’Ambassadeur qu’en le remplaçant on serait plus pantin que lui.
Lorsqu’ils sont à l’opposition, dans leur programme, il n’y a presque
jamais l’ombre de ce qui marche et comment on pourrait l’améliorer.
Et pire, Il n’y a jamais de solution à la liste des malheurs énoncés
plus tôt. Et lorsqu’ils tentent d’ébaucher un semblant de solution,
c’est toujours pour jouer au père Noël hors saison, sans jamais
expliquer comment ils pensent trouver les ressources pour y parvenir.

Là où le bas blesse c’est qu’on retrouve aussi cette attitude de
démission chez ceux qui sont au pouvoir. Les révélations de Wiki-Leaks
en 2010 nous ont montré à quel point en Afrique, des Ministres, mais
aussi des Présidents de la République ne savent pas pourquoi ils sont
là. On a par exemple découvert une relation de subalternité démesurée
entre la présidence du plus grand pays d’Afrique, le Nigéria, et
l’Ambassadeur Américain, allant jusqu’au limogeage du Chef d’Etat
Major de l’armée nigériane, le Général Victor Malu, dont le seul crime
commis a été celui de mettre en garde les politiciens de son pays de
la forte influence des Etats-Unis d’Amérique sur le système de défense
du pays. Dans une note confidentielle, révélée par le journal nigérian
Vanguard News, le Général expliquait tout simplement aux politiciens
qui avaient à peine assumé la transition démocratique des militaires
aux civils que les USA, qui faisaient pression pour former les
militaires nigérians dans les missions de Peacekeeping (maintien de la
paix) ne vantaient aucun succès en la matière, mettant le doigt sur
les successifs échecs américains sur tous les théâtres de guerre
depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, du Vietnam, à la Corée
(toujours divisée en deux) à l’Iraq en passant par la Somalie et
l’Afghanistan. Il concluait ainsi que l’armée nigériane victorieuse de
la guerre du Biafra avait plus à enseigner aux américains et non
l’inverse. Conséquence de son patriotisme : il a été tout simplement
viré, pour avoir osé mettre en doute l’efficacité de la superpuissance
du maître.

C’ETAIT MIEUX AVANT ?

Dans la leçon 34, nous avons déjà abordé la question de la fausse
comparaison entre 4 dragons asiatiques et les pays africains, où nous
avons établi un bilan sommaire et catastrophique de la colonisation
avec l’absence de routes, d’écoles, d’hôpitaux.  Aujourd’hui nous
allons nous pencher sur un autre élément. Les RUP, Régions Ultra
Périphériques de l’Union Européenne peuvent nous servir de
comparaison. Il y en a 8 dont 5 à la France (Martinique, Guadeloupe,
Guyane, Réunion et Mayotte), 2 au Portugal (Açores et Madère) et 1 à
l’Espagne (Canaries). A la période des indépendances africaines des
années 60, les pays Européens ont décidé de ne pas concéder
l’indépendance à ces territoires, et les ont administrés
jusqu’aujourd’hui, 2012. Comme nous n’étions pas là avant pour savoir
si c’était bien ou mal, nous pouvons comparer la gestion des 53 états
africains à ces 8 états encore colonies de l’Europe. Nous allons
utiliser pour cela le système appliqué aux entreprises pour mesurer la
vertu de sa fonctionnalité. En d’autres termes, il s’agit dans une
entreprise de savoir combien a été investi en une année et comment cet
investissement a été rendu productif, rentable ou pour le moins
équilibré par rapport aux choix de positionnement stratégique de
l’entreprise.

Pour comparer ces pays, nous prendrons en examen le budget d’une année
donnée. Alors qu’en Afrique, le budget de chaque année est annoncé
publiquement il est presque impossible de le savoir pour les pays
encore colonisés, les RUP. Mais nous nous sommes procuré une
information capitale publiée dans le journal français Le Figaro du
11/02/2009 communiquant le budget des RUP français à 12,7 milliards
d’Euros au titre de l’année budgétaire 2009. C’est à-dire que la
France, pour maintenir des colonies au 21ème siècle doit débourser
chaque année la somme de 12,7 milliards d’Euros, soit 1.115 milliards
de Fcfa pour une population totale de 2,6 millions d’habitants sur un
total de 119.975 km2. Nous devons donc comparer ce que la gestion
coloniale française obtient avec ce chiffre en termes de résultat que
nous allons ensuite comparer avec des pays africains, pour savoir si
c’était mieux avant ou maintenant.

Dans le cas actuel de la richesse par nation, on divise les 12,7
milliards sur les 2,6 millions de personnes pour qui ce montant est
affecté et l’on obtient un revenu par tête d’habitant de 4.884 Euros.
Et dans les détails, le budget de la Réunion en 2009 était de 4,05
milliards d’Euros, pour une population d’à peine 800.000 habitants. On
obtient le chiffre de 5000 € par habitant qui est un montant très
élevé au niveau international. Mais que cache ce chiffre?

Il s’agit au fond un piège comportemental hérité du passé colonial
Européen. Disposer des terres qu’on commanderait hors d’Europe donne
l’illusion de commander le monde. Mais si en 1946 lorsque les états
coloniaux français se sont constitués sous l’appellation de DOM
(Département d’Outre Mer), le prix du pétrole avoisinait les 2 Dollars
par baril, le problème de la continuité territoriale ne se posait
nullement. On pouvait s’offrir le luxe d’isoler des terres qui ne
communiquent pas, n’échangent rien avec les voisins, faisant tout
venir, même l’eau à boire de plus de 10.000 km, 66 ans après, en 2012,
le prix du Baril de pétrole a été multiplié par 48, en passant de 2
dollars à 96 dollars. Ceci a transformé ces territoires, qui auraient
dû donner à l’Europe l’illusion de l’universalité de son pouvoir, en
véritable cauchemar financier.

Le pire de tout ça est que ce flux d’argent ne sert nullement à créer
de la richesse, mais presqu’entièrement à soutenir une économie
spéculative de rente entretenue par des descendants d’esclavagistes
dit « Béké », qui n’ont rien perdu des vieilles habitudes
d’esclavagisation de la population d’origine africaine réduite à la
misère ou à la mendicité des aides sociales. Ainsi, le prix de toute
denrée alimentaire ou non est artificiellement tenu élevé afin de
réserver au peu qui peut se le permettre. Exactement comme cela se
passait en Afrique avant les années 60, des indépendances, lorsque
c’était les mêmes esclavagistes qui contrôlaient les activités
économiques de tout le continent Africain.

L’état français pris au dépourvu d’une situation qu’il avait lui même
appliquée en Afrique pendant plus de 100 ans, ne sait plus aujourd’hui
quoi faire, pour libérer sa propre population prise en otage par une
poignée d’ex esclavagistes qui n’ont rien perdu de la ferveur d’antan.
Alors il a préféré une solution de fuite en avant : payer ses propres
fonctionnaires, les policiers, les magistrats, les infirmiers, les
gendarmes etc. 40% plus cher qu’en France même. Ce qui  a contribué
plutôt a jeter de l’huile sur le feu de la crise sociale que vivent
toutes ces colonies depuis des dizaines d’années, parce que si le
salaire des fonctionnaires a augmenté de 40%,, l’état a oublié
d’augmenter de la même proportion, les allocations familiales et les
aides sociales versées au plus démunis, qui sont toujours plus
nombreux.

LA SICILE, SYMBOLE D’UNE EUROPE MAL GEREE
Pour savoir si l’Afrique qui a très mal été gérée par les Européens
durant la période sombre de l’occupation coloniale de 77 ans, pouvait
l’être mieux par ces derniers, aujourd’hui, il suffit d’aller voir
comment est gérée l’Europe elle-même, comment sont gérées les régions
d’Europe. Il me plait pour cette analyse, de choisir la région de
Sicile en Italie. Pourquoi ce choix ? Parce que c’est en absolu, la
région européenne la plus proche d’Afrique. Par comparaison, l’ile
italienne de Lampedusa est plus au sud que la ville africaine de
Tunis, capitale de la Tunisie. C’est-à-dire que les migrants qui
partent des côtes tunisiennes de Tunis, Sousse, Nabeul, Hammamet ou
Kelibia pour rejoindre les cotes italiennes de Lampedusa, font un
retour sur l’Afrique, puisque leur bateau met le cap vers le sud pour
atteindre les côtes italiennes. Donc au moment où on a parlé du
printemps arabe pour mentionner un pays mal géré et qui a porté aux
manifestations populaires de 2010 et 2011, comment était gérée la
région européenne voisine de la Sicile ?

D’après le très célèbre quotidien économique italien : Il Sole 24 Ore
du 24  Mars 2012, communiquant les chiffres des syndicats italiens, en
Sicile, 28,5% de personnes sont au chômage. 1 jeune sur 2 est au
chômage, 1 diplômé d’université sur 3 ne fait plus de demande de
travail, parce qu’il sait d’emblée qu’il n’obtiendra même pas de
réponse, même négative, les entreprises n’ayant plus d’argent pour
financer un service ad-hoc pour répondre le fameux  « nous sommes au
regret » à toute l’armée des chômeurs de l’île. Ce qui fait dire à Mr.
Ivan Lo Bello, président des industriels de l’île qu’à cause de 50 ans
de mauvaise gouvernance, les politiciens n’ont pas vu que les dépenses
augmentaient toujours plus alors que les recettes subissaient une
dégradation vertigineuse. Et que si la route n’était pas modifiée, on
allait tout droit vers la mort économique et politique de l’ile.

Mais quelle est cette mauvaise gouvernance dont parle le président des
industriels ?

Selon la cour des comptes italienne, l’institution de la région de
Sicile coûte 516 € par habitant et par an. C’est l’un des taux les
plus élevés au monde. Par comparaison avec le Togo, selon le budget
officiel 2011, l’administration togolaise coute  152 € par habitant,
42€ au Mali qui avant la crise politico-militaire, était considéré
comme l’un des pays les mieux gérés au monde où le coût des
fonctionnaires ne représentait que 13,77% de la richesse nationale
contre 60% en Sicile qui vante un triste record de 5 milliards d’Euros
de dettes que la région n’arrive plus à rembourser, dues à
l’incompétence des politiciens empirée par du clientélisme à outrance
et la corruption de type mafieuse que ne connait fort heureusement
aucun pays africain. Plusieurs exemples peuvent nous permettre de
comprendre le phénomène :

1-    Selon les informations publiées le 23/07/2012 par Domenico Ferrara
dans Il Giornale, quotidien italien de la famille Berlusconi, ancien
président du Conseil, pour un discours d’une heure de Mr. Lombardo,
président de la Région Sicile, 18 sténographes se sont succédés.
L’assesseur régional aux infrastructures, Andrea Vecchio auteur des
propos, a même chronométré cette indécence qui relève de la
psychiatrie politique et a certifié le record mondial de 3 minutes
pour chaque sténographe pour recopier ce discours historique de
Lombardo.
2-    Salaire : restons avec nos gentilles secrétaires siciliennes en
jupes courtes, très courtes. Combien gagnent-elles pour 3 minutes de
travail par jour ? C’est encore Vecchio qui nous donne la réponse : à
peine recrutée sans expérience, elles touchent la modique somme de
2518 € net par mois. Et après 24 mois de dur labeur et forte
transpiration à recopier  3 minutes du discours du président Lombardo,
elles touchent 6300 € net par mois, c’est-à-dire presque 4 millions de
Francs CFA chaque mois.
3-    L’addiction au Recrutement : dans la région Sicile, il faut
recruter tous les matins peu importe le travail que les nouveaux
recrus feront. Le journal Il Giornale dans cette même édition, nous
révèle qu’il y a des Camminatori, c’est-à-dire des « Marcheurs », des
employés qui passent leurs précieuses journées de travail à marcher,
marcher, marcher encore d’un bureau à l’autre pour savoir s’il n’y a
pas un bout de papier à donner au bureau de l’étage en dessous, pour
savoir si quelqu’un n’a pas besoin d’un verre d’eau. Ils ont été tous
recrutés en Avril 2012, alors que la région qui croule sous le poids
de 5 milliards d’Euros de dettes, risquait déjà la faillite. Avec eux,
157 nouveaux chauffeurs ont été recrutés, parce que comme pour les
secrétaires, il ne faut pas que les chauffeurs se fatiguent à conduire
plus de 15 minutes. Le même jour, la région a recruté 55 nouveaux
surveillants pour les 3 musées de la ville. Qui sait ? En temps de
crise, peut-être que les Grecs voisins eux aussi en difficulté
financière peuvent avoir l’idée de venir voler tous les tableaux
religieux des musées siciliens. Ces vaillants soldats sont venus
s’ajouter aux 30.000 gardiens de forêts siciliennes. Sauf qu’après
avoir de sillonné plusieurs fois la zone, je n’ai pas trouvé l’ombre
d’une forêt. L’île, qui souffre de sècheresses chroniques chaque
année, n’a pas de véritable forêt. Qu’importe, sûrement en recrutant
30.000 personnes pour garder la forêt imaginaire, cette dernière va
finalement se décider à sortir de terre. A ce chiffre, il faut bien
entendu ajouter les 18.000 fonctionnaires que comptent les organismes
de la Région Sicile, tout ce beau monde ne comprend pas, bien entendu,
les fonctionnaires qui relèvent de la compétence nationale comme la
police, la gendarmerie, la poste, le fisc, la préfecture etc.
4-    Les FUNERAILLES payées par le contribuable. En Sicile, il est prévu
pour les politiciens, 500.000 € à donner à la veuve ou au veuf pour
organiser les funérailles. Cette somme est versée même pour les
familiers jusqu’à 3 degrés de parenté. Vive la démocratie.
5-    Maladie nationale : quelqu’un peut penser que ce sont ces siciliens
qui sont fous. Un exemple : parlant de sténographe,  une secrétaire au
parlement national italien, touche 290.000 € par an net d’impôt,
c’est-à-dire : 24.166 € net par mois, soit 15.850.917 FCFA de salaire
mensuel versé à chaque secrétaire du parlement italien, un pays qui
cumule une colossale dette publique de 1.965 milliards d’Euros de
dette publique et chaque semaine. Il faut trouver toujours et toujours
de l’argent sur les marchés pour payer les policiers, les infirmiers
etc.

LA BONNE GOUVERNANCE N’EXISTE PAS

Avant de dire si l’Afrique peut oui non recevoir les leçons de la
gouvernance des pays Européens et nord-américains, nous allons d’abord
définir ce qu’est une gouvernance et utiliser les critères que le
maître a lui-même élaborés pour le juger, l’apprécier pour dire si
lui-même est capable d’enseigner la vertu qu’il professe.

Qu’est-ce qu’une gouvernance ? Le dictionnaire nous apprend que la
gouvernance est une gestion menée avec rigueur. Ce qui signifie tout
simplement que ceux qui parlent de bonne gouvernance » ne savent tout
simplement pas de quoi ils parlent. On devrait plutôt parler de la
bonne ou mauvaise gestion de la chose publique. Si nous parlons de
gouvernance, nous devons donc être certains de bien mettre la rigueur
au centre de nos préoccupations. S’il y a la rigueur dans la gestion,
alors on peut parler de gouvernance ou de gestion optimale ou de
gestion maitrisée de la chose publique. Ceci nous amène à la question
fatidique du jour : l’occident pratique-t-il la gouvernance ?

Pour répondre à cette question, il nous est facile de tout simplement
poser une autre toute petite question à première vue sans importance,
mais qui va se révéler capitale pour comprendre la suite de notre
analyse et c’est : consommons-nous ce que nous produisons ? Les
ressources que nous produisons au quotidien sont-elle suffisantes pour
faire face à notre consommation quotidienne ? Rapportons cette
question au niveau des mairies, des régions, des pays : la richesse
produite chaque mois, chaque trimestre, chaque année est-elle
suffisante pour combler la consommation de cette ville, de cette
région, de ce pays ?

En septembre 1980, à mon tout premier cours d’économie en classe de
seconde BG au Lycée Technique de Douala au Cameroun, pour nous
expliquer ce qu’était l’économie, notre professeur nous a raconté
l’histoire de Robinson Crusoé vivant tout seul sur une île déserte
avec ce qu’il trouve sous la main et de conclure que, dans ces
conditions, sur cette île, il n’existe pas d’économie. L’économie
existe parce que nos besoins du fait de l’interaction avec la société
sont énormes et les ressources pour les satisfaire sont
malheureusement réduites, insuffisantes. Elle permet de classer les
besoins par ordre de priorité afin d’utiliser de façon optimale ces
ressources insuffisantes. Le lendemain c’était au tour de notre
professeur de mathématiques financières de nous expliquer l’utilité de
sa discipline. Selon lui, les mathématiques financières permettaient
de traduire en argent ce que nous allions apprendre en cours
d’économie. C’était l’instrument mathématique qui permettait de
contrôler avec rigueur le niveau d’utilisation des ressources
disponibles et le coût de celles non disponibles afin de garantir dans
le temps le bien-être et l’autonomie d’un foyer, d’une entreprise,
d’une mairie d’un pays.

Lorsqu’on consulte le World Factbook de la CIA d’année en année, on
peut conclure que ces deux banalités économiques et financières qui ne
sont pas enseignées à l’université, mais dès le lycée en Afrique, sont
de loin mieux maitrisées par les pays africains dans la gestion des
affaires publiques comme par exemple les mairies qui n’ont pas de
bilan au rouge, au contraire des pays occidentaux qui croulent sous
les dettes. Si la gouvernance d’un politicien se mesure par sa
capacité à optimiser le peu de ressources à sa disposition pour offrir
le meilleur service à sa population, on peut dire sans risque de se
tromper que les politiciens occidentaux sont une véritable catastrophe
dans l’art de manier les finances.  Ce n’est pas moi qui le dis, mais
c’est la conclusion du rapport de l’agence de notation américaine
Fitch qui, comme les autres agences Moodys et Standard and Poor’s, a
dégradé les notes de 75% des mairies et régions des pays de l’Union
européenne, malgré les protestations des intéressés qui crient au
complot américain contre l’Europe. Dans ce rapport, publié le 6
septembre 2011, Fitch affirme qu’il faudra à la région Picardie par
exemple près de 11 ans pour rembourser sa montagne de dette.

Examinons sans trop de technicité les finances des régions françaises,
c’est-à dire un pays qui continue de bénéficier du triple A, la note
maximale dans 2 de ces 3 agences de notation américaines. Sur le
tableau présenté par la revue française Capital dans son édition du
25/02/2010, analysant la situation des régions françaises avant la
crise de 2001 à 2008, il ressort ceci : en dehors de l’Aquitaine et de
la Haute Normandie, toutes les 20 régions françaises ont vu leurs
dettes augmenter de façon exponentielle sans qu’on comprenne bien
comment elles feront pour les rembourser, puisqu’elles sont installées
dans cette logique d’emprunter toujours plus chaque jour sur les
marchés. Par exemple dans cette période de 7 ans la dette de l’Alsace
de 327%, Champagne de 286%, Corse de 234%, Limousin de 311% Loraine de
338%, la Basse Normandie de 345%, le Poitou Charentes de 335% etc… Le
journal va plus loin en tirant à boulet rouge sur la médiocrité
diffuse des politiciens français qui se cachent derrière le prétexte
de la réduction des recettes publiques dues à de nombreuses
délocalisations des entreprises vers la Chine ou ailleurs. Cette
explication ne peut rien justifier puisque conscient de la réduction
des ressources, les dettes de 5 régions françaises ont été quadruplées
durant la période prise en examen comme en Corse où la dette régionale
arrive à 1105 € par habitant.  Ceci ne tient évidemment pas compte de
la dette communale, encore moins de la dette nationale qui place la
France parmi les nations les plus endettées au monde, nations qui
vivent donc très loin au-dessus de leurs moyens.

Ce n’est pas mieux pour les dettes des villes européennes. Par
comparaison, la dette individuelle, c’est-à-dire de chacune des 60
plus grandes villes françaises dépasse le budget de plusieurs pays
africains réunis. C’est encore la revue CAPITAL dans son édition du
19/11/2011 qui nous révèle les techniques qu’utilisent les villes
françaises pour dissimuler leurs véritables situations catastrophiques
d’endettement, en faisant oublier le poids de l’intercommunalité : par
exemple, on présente les chiffres de la mairie de Paris apparemment en
ordre et oubliant que ceux des autres mairies de l’Ile de France qui
sont toutes financièrement dépendantes de Paris. C’est en observant
cette globalité que journal conclut que Delanoé, le maire de Paris,
qu’on présente comme un bon gestionnaire a fait exploser la dette de
sa ville de 153% en 10 ans. Et Capital de communiquer d’après ses
calculs, les dettes réelles des 60 plus grandes villes françaises qui
toutes, sans exception, mordent la terre, parce qu’elles ne savent
plus quoi faire ni comment inventer pour ne plus emprunter, même avant
de répondre à la question de comment rembourser leurs dettes
colossales. On peut ainsi découvrir un palmarès des plus inquiétants
de dettes par habitants des mairies de France, ainsi : Le Mans, 2817 €
par habitant, Perpignan 2657 € par habitant, Orléans 2791 € par
habitant, Grenoble, 3355 € par habitant, Saint-Etienne, 3070
€/habitant , Lille 2730 €/habitant, Marseille 3535 €/habitant, Lyon
2716€/habitant,  etc.

La dette des villes, des régions, des pays lorsqu’elle n’est pas
maitrisée est par définition une véritable bombe à retardement qui
attend son heure pour exploser. Etait-ce mieux avant ? En tout cas, la
gestion présente de nos occupants d’hier ne nous rassure pas sur ce
que serait devenue l’Afrique avec eux à la manette. Le taux record de
chômage dans les colonies françaises de Martinique, Guyane, Réunion,
Guadeloupe et le niveau exorbitant des prix à la consommation ne
rassure pas sur ce que seraient devenu les africains dans leur
majorité.

Ce qui est encore plus ridicule est que l’Africain qui a fait cette
déclaration pour le moins dénuée de tout fondement est celui-là même
qui se vante d’avoir été le conseiller pour l’Afrique durant la
campagne électorale pour la présidentielle 2012 de celui qui deviendra
président, François Hollande. Et après le plat de résistance de la
bêtise humaine, Monsieur Kofi Yamgnane nous sert même le dessert en
nous expliquant les 5 mesures phares qu’il a exposées au président
français comme ligne guide de sa politique africaine, un ensemble de
caricatures de certaines idées reçues véhiculées depuis plusieurs
années par certains intellectuels africains ont hissé le drapeau blanc
de la soumission.

Le poids des dettes des villes et des régions françaises vient aussi
des placements  hasardeux et des emprunts dits toxiques, ce qui est
une preuve que la plupart de ces maires que le système dit
démocratique du suffrage universel a porté au pouvoir ne maitrise pas
la moindre notion des cours élémentaires d’économie, encore moins de
mathématiques financières.  Et comme le peuple vote par définition,
celui qui promet le plus et peut faire plus de bruit, et non le plus
compétent, on a le phénomène de la mafia qui fait désormais partie du
paysage politique européen, pas seulement en Sicile, mais un peu
partout en Europe.

QUELLES LECONS POUR L’AFRIQUE

S’il est prouvé que ce n’était pas mieux avant, il est aussi clair que
l’Afrique n’est pas immunisée des maux qui minent aujourd’hui le
paysage politique et économique des pays occidentaux dans leur
ensemble. L’Afrique dans sa marche vers le progrès, est en train de
devenir  le nouvel El Dorado. La nouvelle génération de politiciens
africains qui est en train d’arriver au pouvoir saura-t-elle exploiter
l’avantage de l’expérience de la privation à outrance à laquelle le
système dominant avait contraint ses prédécesseurs ? L’Afrique ne doit
pas répéter les erreurs des pays occidentaux qui ont fait croire à la
population qu’ils possédaient ce qu’ils n’avaient pas et le modèle du
suffrage universel aidant, chacun a prétendu une part d’un gâteau qui
n’existait en réalité que dans la propagande pour s’attribuer les
meilleurs superlatifs de vertu au monde. On a commencé ainsi à vivre
non pas de ce qu’on possédait, mais de ce qu’on croyait posséder de
l’individu pour sa voiture à l’Etat pour financer ses guerres.
L’Afrique doit se dire qu’à quelque chose, malheur est bon et faire de
la sobriété dans la consommation, une valeur. L’exemple de l’Algérie
est à mes yeux très louable d’un pays africain capable de résister aux
sirènes occidentales sur comment utiliser son pactole résultant de la
vente de son pétrole et de son gaz, pour privilégier le futur et ses
générations. Le sous-sol africain doit dans sa majorité rester
inexploré, car nous avons pris l’habitude de la privation et même si à
l’indépendance on n’était propriétaire de rien, nous avons appris à
nous retrousser les manches, à bosser dur même quand le résultat
n’était pas perceptible. On a commis beaucoup d’erreurs comme le fait
de cultiver le café et le cacao au lieu de cultiver les cerises, les
truffes, les vignes etc. de loin plus rentables. Mais nous avons
appris de nos erreurs et il suffit de les corriger.  Nos écoles, nos
universités doivent pouvoir former suffisamment de personnes pour
comprendre et maitriser le monde aujourd’hui.

L’occident s’est érigé en généreux donneur de leçons. Mais leurs
conseils sont comparables à ceux des prêtres catholiques célibataires
qui expliquent en experts à des couples comment réussir un mariage.
Comment l’occident peut-il prodiguer à l’Afrique des conseils qu’il
n’a pas su appliquer à lui-même ? Comment peut-on prendre un
entraîneur européen pour offrir la coupe du monde de football à un
pays africain s’il n’a même pas réussi à le faire pour son propre pays
européen ? Comment peut-on recruter un Directeur d’une grande
entreprise publique un gestionnaire européen qui vient d’être remercié
par son entreprise en Europe pour sa mauvaise gestion ?

L’Afrique ne dispose pas des meilleures ressources humaines du monde,
mais la rigueur que la misère nous a contraint à subir doit devenir un
atout que nous pouvons enseigner au monde. Cela ne sert à rien de
brûler les étapes pour posséder un tram comme à Paris ou à Londres, un
système social qu’on nous vante avoir fait des miracles à Oslo ou à
Melbourne, si nous ne maîtrisons pas chaque étape de notre progrès,
chaque centimètre de notre liberté. Sans cela nos atouts d’aujourd’hui
risquent de devenir notre principal inconvénient de demain.

Douala le 10/08/2012

Jean-Paul Pougala
www.pougal.org
pougala@gmail;com

(*) Jean-Paul Pougala est directeur de l’Institut d’Etudes
Géostratégiques de Douala au Cameroun et enseigne Géostratégie
Africaine à l’Institut  Supérieur de Management ISMA de Douala.

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