Sept mois après la mort de Kadhafi, les ex-rebelles ont toujours soif de vengeance
24 mai 2012
Sept mois après la mort de Kadhafi, les ex-rebelles ont toujours soif de vengeance
L’un de nos Observateurs dans cette ville nous confirme que l’accent des tortionnaires est bien celui de sa région. Ces hommes sont habillés en soldats et accompagnés de deux adolescents qui se relayent pour battre le prisonnier. Ce dernier se trouve par terre, les poignets liés derrière le dos avec du fil de fer (à 2’19, on voit un soldat serrer les liens) et les pieds nus, en l’air, attachés à une branche d’arbre. Il est battu sur la plante des pieds avec, tour à tour, une branche et un tuyau en caoutchouc. Il est insulté. À 1’30, une voix hors champ « explique » les raisons de ces tortures : le prisonnier serait un ancien milicien pro-Kadhafi qui se serait filmé avec son portable lors d’une attaque menée contre les rebelles de Misrata (la ville a été attaquée, bombardée et assiégée par les forces kadhafistes du 23 février au 11 mai 2011). La voix précise que sur cette vidéo, le milicien présumé dit vouloir « entrer dans une dizaine de maisons et violer les filles de Misrata ». La vidéo s’arrête sur les images d’un homme habillé en soldat qui bat le prisonnier avec un bâton en lui demandant d’aboyer.
Ce n’est pas la première fois que ce type de vidéo, qui montrerait des exactions commises par d’anciens rebelles, fait surface sur Internet. Mais la plupart de ces images montraient jusque-là des prisonniers d’Afrique subsaharienne, ou des berbères de Libye, humiliés et battus parce qu’ils sont considérés comme des mercenaires kadhafistes.
« Ceux qui ont participé aux combats durant la révolution sont aujourd’hui intouchables »
« Les méthodes des anciens rebelles ne diffèrent pas toujours de celles des pro-Kadhafi »
Évidemment, la brutalité dont les miliciens de Kadhafi ont fait preuve durant la bataille de Misrata ne justifie en rien ce que l’on voit sur cette vidéo. En tant qu’avocat et militant des droits de l’homme, j’estime que chacun a droit à un procès équitable. C’est à la justice de se prononcer. Malheureusement, les méthodes des anciens rebelles ne diffèrent pas toujours de celles des pro-Kadhafi. Ces deux adolescents, que l’on voit sur la vidéo en train de battre les prisonniers, en est une preuve.
Malheureusement, le pouvoir libyen ne fait rien pour empêcher les bavures des anciens rebelles. Ces derniers jouissent au contraire d’une impunité totale grâce à l’article 4 de la loi 38 qui a été adopté début mai. Selon cet article, les anciens rebelles ne font l’objet « d’aucune poursuite judiciaire pour des actes commis dans le but de faire aboutir la révolution du 17 février ». En d’autres termes, ceux qui ont participé aux combats durant la révolution sont aujourd’hui intouchables. Et il suffit de les critiquer pour être accusé d’être un partisan de Kadhafi.
En tant qu’association, nous essayons d’enquêter et de rédiger des rapports sur les exactions qui ont lieu à Misrata, peu importe qui en est l’auteur. Nous voudrions établir des contacts avec le Tribunal pénal international. Quant à la justice libyenne, elle est loin d’être efficace. Il a fallu des mois pour remettre en activité les tribunaux de Misrata, et les juges comme les avocats peuvent difficilement travailler dans une ville où les armes circulent et où la police refuse souvent d’appliquer les décisions des juges.
Billet écrit avec la collaboration de Sarra Grira, journaliste à France 24.