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18 avril 2024

Sept mois après la mort de Kadhafi, les ex-rebelles ont toujours soif de vengeance


 

Sept mois après la mort de Kadhafi, les ex-rebelles ont toujours soif de vengeance

Torture d’un ancien pro-Kadhafi dans la région de Misrata.
Une nouvelle vidéo de torture sur la Libye est apparue sur le Net. La victime serait un ancien partisan de Mouammar Kadhafi. Notre Observateur décrypte pour nous cette vidéo et nous explique que ce type de pratique reste encore souvent impuni dans son pays.
La vidéo a été postée sur YouTube le 16 mai par Libya Albadeel, puis republiée de nombreuses fois par d’autres utilisateurs. Il est impossible de déterminer la date à laquelle elle a été filmée. Son titre indique qu’il s’agit de « miliciens » de Misrata, une ville côtière située à 200 kilomètres à l’est de Tripoli, en train de maltraiter un « citoyen libyen ».
ATTENTION CES IMAGES PEUVENT CHOQUER

L’un de nos Observateurs dans cette ville nous confirme que l’accent des tortionnaires est bien celui de sa région. Ces hommes sont habillés en soldats et accompagnés de deux adolescents qui se relayent pour battre le prisonnier. Ce dernier se trouve par terre, les poignets liés derrière le dos avec du fil de fer (à 2’19, on voit un soldat serrer les liens) et les pieds nus, en l’air, attachés à une branche d’arbre. Il est battu sur la plante des pieds avec, tour à tour, une branche et un tuyau en caoutchouc. Il est  insulté. À 1’30, une voix hors champ « explique » les raisons de ces tortures : le prisonnier serait un ancien milicien pro-Kadhafi qui se serait filmé avec son portable lors d’une attaque menée contre les rebelles de Misrata (la ville a été attaquée, bombardée et assiégée par les forces kadhafistes du 23 février au 11 mai 2011). La voix précise que sur cette vidéo, le milicien présumé dit vouloir « entrer dans une dizaine de maisons et violer les filles de Misrata ». La vidéo s’arrête sur les images d’un homme habillé en soldat qui bat le prisonnier avec un bâton en lui demandant d’aboyer.

Ce n’est pas la première fois que ce type de vidéo, qui montrerait des exactions commises par d’anciens rebelles, fait surface sur Internet. Mais la plupart de ces images montraient jusque-là des prisonniers d’Afrique subsaharienne, ou des berbères de Libye, humiliés et battus parce qu’ils sont considérés comme des mercenaires kadhafistes.

CONTRIBUTEURS

« Ceux qui ont participé aux combats durant la révolution sont aujourd’hui intouchables »

Abdelbassat al-Haddad est un avocat et militant des droits de l’Homme à Misrata. Ancien membre du conseil régional de transition, il a refusé de se représenter aux élections locales à cause de divergences avec les autres membres du conseil. Il est également membre d’une association chargée de faire des rapports sur les crimes de guerre à Misrata.

Les vidéos filmées à l’aide de téléphones portables par les miliciens de Kadhafi ont créé une vive polémique à Misrata. Nous avons été surpris de voir à quel point cette pratique était courante : beaucoup de téléphones portables contenant des vidéos où des miliciens se targuent de ce qu’ils vont faire subir aux rebelles ont été retrouvées sur les cadavres de combattants pro-Kadhafi. Ces soldats cherchaient probablement à gagner la faveur de leurs chefs en montrant leur détermination. Des séquences de ce genre, j’en ai moi-même vu. Et puis les nombreux viols commis par les pro-Kadhafi ont à jamais marqué la population ici. Des villages proches de Misrata, comme Tommina, en ont particulièrement souffert. Des jeunes filles ont été violées sous les yeux de leurs pères. Plus que les morts, ce sont leurs filles, leurs sœurs ou leurs femmes que beaucoup d’anciens rebelles veulent venger aujourd’hui encore.

« Les méthodes des anciens rebelles ne diffèrent pas toujours de celles des pro-Kadhafi »

Évidemment, la brutalité dont les miliciens de Kadhafi ont fait preuve durant la bataille de Misrata ne justifie en rien ce que l’on voit sur cette vidéo. En tant qu’avocat et militant des droits de l’homme, j’estime que chacun a droit à un procès équitable. C’est à la justice de se prononcer. Malheureusement, les méthodes des anciens rebelles ne diffèrent pas toujours de celles des pro-Kadhafi. Ces deux adolescents, que l’on voit sur la vidéo en train de battre les prisonniers, en est une preuve.

Malheureusement, le pouvoir libyen ne fait rien pour empêcher les bavures des anciens rebelles. Ces derniers jouissent au contraire d’une impunité totale grâce à l’article 4 de la loi 38 qui a été adopté début mai. Selon cet article, les anciens rebelles ne font l’objet « d’aucune poursuite judiciaire pour des actes commis dans le but de faire aboutir la révolution du 17 février ». En d’autres termes, ceux qui ont participé aux combats durant la révolution sont aujourd’hui intouchables. Et il suffit de les critiquer pour être accusé d’être un partisan de Kadhafi.

En tant qu’association, nous essayons d’enquêter et de rédiger des rapports sur les exactions qui ont lieu à Misrata, peu importe qui en est l’auteur. Nous voudrions établir des contacts avec le Tribunal pénal international. Quant à la justice libyenne, elle est loin d’être efficace. Il a fallu des mois pour remettre en activité les tribunaux de Misrata, et les juges comme les avocats peuvent difficilement travailler dans une ville où les armes circulent et où la police refuse souvent d’appliquer les décisions des juges.

Billet écrit avec la collaboration de Sarra Grira, journaliste à France 24.

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